LE CARNET SCORDATURA Lake House, 14 avril, 4 heures du matin Rêve abominable. Je me promenais avec ma mère au zoo du Bronx, et soudain on a vu un panier de pique-nique sur la pelouse. D’une voix neutre, Elisa me dit de l’ouvrir. À l’intérieur il y a un chat : je vois qu’il n’est pas mort mais affreusement blessé, la tête défoncée… Je suis horrifiée, mais Elisa me dit de sortir le chat du panier et de le retourner : “Ah ! Regarde, dit-elle ensuite. Il faudrait mettre fin à ses souffrances.” Je regarde et m’aperçois qu’à la place de la cervelle, il y a un petit sac translucide et rempli de liquide, comme un utérus. Il contient deux œufs, deux fœtus : je comprends que la cervelle du chat est enceinte et qu’Elisa m’ordonne d’écraser tout cela pour que rien ne puisse naître. Elle, calme et autoritaire ― “Allez, vas-y” ― et moi, frissonnant de révulsion, les yeux rivés sur ce chat entre vie et mort : “Mais…tu es sûre ?” Des images atroces, insoutenables. Pourquoi Elisa voudrait-elle que j’assassine mes jumeaux ? Ce livre encore embryonnaire, si absolument vulnérable, flottant entre l’existence et l’inexistence… Tête lourde, mains tremblantes, je m’accroche à ce Carnet Scordatura comme si c’était un rocher, et moi, un noyé perdu dans la tempête. À l’aide ! à l’aide… Plus tard (10 heures)
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NANCY HUSTON Image, G.AdC ■ Nancy Huston sur Terres de femmes ▼ → Lignes de faille (note de lecture d’AP) ■ Voir | écouter aussi ▼ → (sur Dailymotion) Nancy Huston invitée de Christophe Bourseiller dans Musique matin (France Musique, 1er décembre 2011) |
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