Franz von Lenbach (1836-1904), Cosima Wagner (1837-1930) [la fille de Franz Liszt et de Marie d’Agoult], esquisse, 1870 Bayreuth, Richard-Wagner-Museum, Villa Wahnfried Source [Venezia, Ca' Vendramin Calergi], lundi 12 février. R. [Richard Wagner] s’est levé une fois cette nuit et il a cherché son chéquier parmi ses papiers sans le trouver, ce qui l’inquiète un peu. Il me raconte gaiement au petit déjeuner que son barbier lui a fait compliments sur ses progrès en italien, R. lui avait dit au sujet de la pluie : Piova fruttuosa. En réalité, le sirocco souffle ; nous disons adieu au pauvre maitre de chapelle qui est encore très fatigué. R. a travaillé à son essai, à table les enfants et Joukowski racontent toutes sortes de choses très drôles au sujet de la soirée d’hier, ce qui amuse R. et l’encourage à faire les plaisanteries les plus vives et à raconter des anecdotes. L’après-midi, il sort avec Eva, car j’attends la princesse Hatzfeld, et il me raconte à son retour qu’il a offert un chocolat à Eva. Avant le dîner, il m’apporte une lettre de mon père reproduite par un journal, dans laquelle il justifie presque son attitude dans la question juive ; la lettre est fort bien écrite mais nous regrettons qu’il ait ressenti le besoin de l’écrire. Il pense que c’est la princesse qui l’a entraîné dans toute cette misère et me dit : « Toute cette cavalerie précipite ton père à sa perte ! » Au dîner nous parlons avec les enfants de la mer et de ses créatures ; auparavant, nous avons parlé des prisons, des peines (the tread-mill), tout cela pour protéger la propriété. (Hier, R. m’avait lu des déclarations charmantes et sincères de Bismarck qui y exprime son désir de quitter les affaires.) Il lit Undine dont il préfère la première partie. Il plaisante beaucoup sur cet exemplaire qui a servi à la traduction du père de Joukowski et qui est couvert de taches d’encre ; il me cite une plaisanterie qu’il a lue dans les Fliegende Blätter : un petit garçon voulait excuser les taches d’encre sur son cahier en disant que son voisin de classe, un More, avait eu des saignements de nez. — Comme je suis déjà au lit, je l’entends parler, longuement et très fort, je me lève et vais dans son cabinet : « Je parlais avec toi », me dit-il, il m’embrasse longuement, tendrement : « Il n’y a de telles réussites que tous les 5 000 ans ! » Je parle de la nature des ondines qui aspirent à trouver une âme. Il se met au piano, joue le thème de Rheingold, Rheingold et ajoute : falsch und feig ist, was oben sich freut. « Et dire que j’ai su cela autrefois de manière aussi juste ! »-- Il est au lit et je l’entends dire encore : « Je les aime bien, ces êtres soumis, ces êtres des profondeurs, si nostalgiques. »* Cosima Wagner, Journal, IV, 1881-1883, Éditions Gallimard, 1979, pp. 503-504. Traduit de l’allemand par Michel-Francois Demet.
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■ Voir aussi ▼ → (sur Terres de femmes) 15 janvier 1882 | Wagner peint par Renoir |
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