Le
18 janvier 1689 naît au château de La Brède, en Gironde, Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de
Montesquieu.
Source
Par sa mère, Marie-Françoise de Pesnel, Montesquieu reçoit la seigneurie de La Brède ; par son père il acquiert celle de Montesquieu. À la mort de Louis XIV, le 1er septembre 1715, Montesquieu a vingt-six ans et possède de nombreuses terres. Son mariage avec la fervente calviniste Jeanne Lartigue, accroît encore l’héritage du jeune Montesquieu. Le couple s’installe à Bordeaux où le jeune homme occupe la charge de conseiller au Parlement. En avril 1716, Montesquieu est élu à l’Académie de Bordeaux. En juillet de la même année, il succède à son oncle Jean-Baptiste de Secondat dans la charge de président à mortier. Il acquiert dans le même temps le nom de Secondat de Montesquieu. Sa vie publique s’accompagne de nombreux séjours à Paris et de la publication de communications et mémoires touchant aux sciences naturelles et à la physiologie. Discours sur la politique des Romains en matière de religion (1716) ; Essai sur la différence des génies (1717) ; Projet d’histoire physique de la terre ancienne et moderne (1719).
LETTRES PERSANES
En 1721 paraît à Amsterdam une curieuse correspondance imaginaire, un roman épistolaire audacieux qui brosse un tableau critique de la société française, de ses mœurs et de ses travers. Les
Lettres Persanes, dont le nom de l’auteur n’est pas immédiatement révélé, remportent tout aussitôt un succès si prodigieux que les libraires « mirent tout en usage pour en avoir des suites ». « Faites-moi des Lettres persanes », demandaient-ils à ceux qu’ils jugeaient aptes à en écrire.
LETTRE LV
RICA À IBBEN, À SMYRNE
Chez les peuples d’Europe, le premier quart d’heure du mariage aplanit toutes les difficultés : les dernières faveurs sont toujours de même date que la bénédiction nuptiale ; les femmes n’y font point comme nos Persanes, qui disputent le terrain quelquefois des mois entiers ; il n’y a rien de si plénier : si elles ne perdent rien, c’est qu’elles n’ont rien à perdre ; mais on sait toujours, chose honteuse ! le moment de leur défaite, et, sans consulter les astres, on peut prédire au juste l’heure de la naissance de leurs enfants.
Les Français ne parlent presque jamais de leurs femmes : c’est qu’ils ont peur d’en parler devant des gens qui les connaissent mieux qu’eux.
Il y a parmi eux des hommes très malheureux que personne ne console : ce sont les maris jaloux. Il y en a que tout le monde hait : ce sont les maris jaloux. Il y en a que tous les hommes méprisent : ce sont encore les maris jaloux.
Aussi, n’y a-t-il point de pays où ils soient en si petit nombre que chez les Français. Leur tranquillité n’est pas fondée sur la confiance qu’ils ont en leurs femmes ; c’est, au contraire, sur la mauvaise opinion qu’ils en ont. Toutes les sages précautions des Asiatiques, les voiles qui les couvrent, les prisons où elles sont détenues, la vigilance des eunuques, leur paraissent des moyens plus propres à exercer l’industrie de ce sexe qu’à la lasser. Ici les maris prennent leur parti de bonne grâce, et regardent les infidélités comme des coups d’une étoile inévitable. Un mari qui voudrait seul posséder sa femme serait regardé comme un perturbateur de la joie publique, et comme un insensé qui voudrait jouir de la lumière du soleil à l’exclusion des autres hommes.
Ici un mari qui aime sa femme est un homme qui n’a pas assez de mérite pour se faire aimer d’une autre ; qui abuse de la nécessité de la Loi pour suppléer aux agréments qui lui manquent ; qui se sert de tous ses avantages au préjudice d’une société entière ; qui s’approprie ce qui ne lui avait été donné qu’en engagement, et qui agit autant qu’il est en lui pour renverser une convention tacite qui fait le bonheur de l’un et de l’autre sexe. Ce titre de mari d’une jolie femme, qui se cache en Asie avec tant de soin, se porte ici sans inquiétude : on se sent en état de faire diversion partout. Un prince se console de la perte d’une place par la prise d’une autre. Dans le temps que le Turc nous prenait Bagdat, n’enlevions-nous pas au Mogol la forteresse de Candahor ?
Un homme qui, en général, souffre les infidélités de sa femme n’est point désapprouvé ; au contraire, on le loue de sa prudence : il n’y a que les cas particuliers qui déshonorent.
Ce n’est pas qu’il n’y ait des dames vertueuses, et on peut dire qu’elles sont distinguées : mon conducteur me les faisait toujours remarquer. Mais elles étaient toutes si laides qu’il faut être un saint pour ne pas haïr la vertu.
Après ce que je t’ai dit des mœurs de ce pays-ci, tu t’imagines facilement que les Français ne s’y piquent guère de constance. Ils croient qu’il est aussi ridicule de jurer à une femme qu’on l’aimera toujours, que de soutenir qu’on se portera toujours bien, ou qu’on sera toujours heureux. Quand ils promettent à une femme qu’ils l’aimeront toujours, ils supposent qu’elle, de son côté, leur promet d’être toujours aimable, et, si elle manque à sa parole, ils ne se croient plus engagés à la leur.
De Paris, le 7 de la lune de Zilcadé* 1714.
* Zilcadé : mois de janvier.
Montesquieu, Lettres Persanes, Éditions Garnier, 1960, pp. 116-117-118. Édition de Paul Vernière.
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