Ph. Cyril Namiech Source LA TRAVERSÉE DU PANAMA (extrait) 9 décembre. ― Saloperie de temps ! Sombre, lente lumière du jour. Avec ses capuchons sur les hublots, l’électricité allumée à midi, la salle à manger déprimante et bruyante. La mer, en grondant, jette des tonnes d’eau contre l’étrave. Les pauvres petits Mai qui s’étaient blottis sur le pont, bras entrelacés, babillant comme de jeunes singes, sont maintenant tristes et ils souffrent du mal de mer. Ils n’ont rien pu avaler au déjeuner et, pour finir, tous s’allongent sur la banquette derrière la table. Seul, Gabriel est encore en bonne forme. « J’ai mangé pour cinq, pour six, pour huit, j’ai toujours très faim quand la mer est mauvaise. » Crac ! Le café, le lait et tout tombe sur les genoux de Primrose, puis sur le sol. Je crains qu’elle ne soit ébouillantée, ce qu’elle est en effet. Mais elle déplore seulement les taches sur les jolis slacks de velours côtelé rouge, tout neufs. Une nom de dieu de tempête vole vers nous en droite ligne. Si je me trompe, c’est pour rien que j’aurais été marin. En réalité, j’ai été marin pour presque rien, au train où vont les salaires, à notre époque. Le Roi des Orages dont l’Éclat est Terrible. Lames énormes, montagnes coiffées de neige, mais le vent souffle à l’arrière, de sorte que c’est la mer qui nous suit. Le Diderot la chevauche magnifiquement (mais avec un roulis tel que dans la cabine tout se heurte avec fracas) comme un Nathaniel Hawthorne éparpillant ses feuillets çà et là dans l’espoir d’apercevoir le diable en manuscrit, ou comme un voilier courant devant le vent. Nous croisons un autre Liberty Ship qui file dans la direction opposée. Haut perché dans les cieux, impossible qu’il fasse plus de 20 milles par jour. Notre bateau de sauvetage ― qui vient à notre rencontre. Les hommes d’équipe, en suroît et chapeaux imperméables, luttent contre le vent et la pluie battante, tendant des lignes de sauvetage sur l’arrière-pont. Par-delà et en poupe, les vagues formidables. Par-delà le temps, et en poupe. Au coucher du soleil, fabuleux spectacle de lames et d’écume, explosant par-dessus le bateau ; la fumée noire qui s’échappe de la cheminée de la coquerie, droit vers bâbord, indique cependant que le vent tourne à l’ouest. Malcolm Lowry, « La Traversée du Panama » in Écoute notre voix, Ô Seigneur, in Romans, nouvelles et poèmes, Classiques modernes, Le Livre de Poche, La Pochothèque, 1995, pp. 784-785. Traduction de Clarisse Francillon et Georges Belmont. |
MALCOLM LOWRY ■ Malcolm Lowry sur Terres de femmes ▼ → No Still Path → Reading Don Quixote |
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