D.R. Collection Michel-Rémy Bieth
Grand Hôtel du Globe et de Rome
O. Girard, Propriétaire
21, rue Gasparin (près Bellecour)
Lyon, [début décembre 19081]
Ma chérie aimée. Il est minuit ½. Je suis lavée et ma malle est défaite. L’hôtel est affreux, antique, des alcôves. Mais on a enlevé les portes d’alcôves et mis des radiateurs, et les gens ont l’air charmant. C’est patriarcal, démodé, tranquille, six francs, il est donc probable que j’y resterai. Je t’écris tout de suite, pour me rapprocher un peu de toi, je viens de donner une dépêche qui partira le matin de bonne heure. La répétition est à 10 heures du matin, on arrête à midi et on reprend à 2 heures. Ça promet ! Je m’en fiche. J’aime mieux être fatiguée, le temps paraît moins long. Ma chérie !!! je ne veux plus m’en aller comme ça ! Ton faux enfant puni se lamente en dedans. Et puis je vais acheter une lampe à pétrole demain pour écrire, l’électricité est trop haute.
Dis à Willy, mon amour, deux choses :
1° Que Maurice Boutry m’a payé à dîner à Dijon
2° que je suis arrivée au Globe en même temps qu’Émilienne de Serres, la sœur de Louis
2. Ça lui peindra tout de suite le genre de l’hôtel.
J’ajoute pour toi, mon chéri, que Maurice Boutry est un cousin éloigné de Willy.
Je me couche. Je t’embrasse. Je pense avec une amertume insupportable à notre joli chez-nous, à ta chambre bleu et argent, à ma chambre rose, à la lumière blanche et gaie, à ta chère figure, et alors…
mais je me retiens. Je t’aime. Je te suis, jusqu’au fond de moi, profondément reconnaissante de tout ce que tu es pour moi, de tout ce que tu fais pour moi, je t’embrasse de tout mon cœur, mon amour chéri.
Ta Colette.
Je me suis arrêtée pour saigner du nez… Ça ne peut pas me faire de mal.
Colette, Lettres à Missy, Éditions Flammarion, 2009, pp. 58-59. Texte établi et présenté par Samia Bordji et Frédéric Magret.
1. Du 10 au 16 décembre 1908, Colette est à Lyon avec les Tournées Baret. Elle y joue le rôle de Claudine dans Claudine à Paris à la Scala. Ce rôle avait été créé par Polaire au théâtre des Bouffes-Parisiens le 22 janvier 1902.
2. Le compositeur Louis de Serres (1864-1942), disciple de Gabriel Fauré, à qui Colette dédie « Toby-Chien et la musique », un chapitre des Vrilles de la vigne. Il est aussi mentionné dans Mes apprentissages (1936) et dans L’Étoile Vesper (1946). Sa femme connut de sombres démêlés avec le couple Gauthier-Villars.
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