Un Comptoir d’édition, Collection “Nous y sommes”,
26190 Rochechinard, septembre 2011.
Lecture d’Angèle Paoli
TOMBEAU POUR CÉCILE Il y a quelque temps déjà, m’est parvenue l’annonce de la publication d’un petit livre. Signé Sabine Bourgois, Les Unités vient de paraître aux éditions Un Comptoir d’édition. Trop arithmétique ou trop abstrait, le titre en lui-même, Les Unités, ne me parle pas. Sans doute, par ce choix, mon amie lilloise poursuit-elle son aspiration à une « écriture blanche », jadis au cœur de ses préoccupations et de nos discussions ? Je commande l’ouvrage. Le livre est de petit format en effet, et la première de couverture m’émeut aussitôt : je reconnais dans le médaillon de gauche le minois de Sabine enfant. Vert sur vert, une grille entrouverte donne sur un jardin un peu désordre, pelouse, vigne-vierge, potentille (peut-être). Sur le battant droit de la grille, l’ombre noire et menaçante, toutes griffes dehors, de la gueule d’un loup. Les Unités, un récit d’enfance ? Un récit lié aux peurs de l’enfance, aux cauchemars qui hantent les nuits d’une petite fille sensible ? Oui, sans doute. Mais au-delà ? Une fois la grille poussée, « un jardin mental noir encombré de ronciers, de chardons, de chiendent, de pissenlits, de plantains et d’orties » ouvre son chemin sans odeurs ni chants d’oiseaux. Le livre est aisé à feuilleter. En exergue, un extrait de Poteaux d’angle. Le poète Henri Michaux incite ― à travers injonctions et mises en garde ― à rester fidèle à soi-même : « Garde intacte ta faiblesse. » Vient ensuite une page, titrée 9+1. Nous voilà aux abords des unités annoncées. Mais que comprendre, sinon que le passage à la dizaine n’aura pas lieu ? L’explication vient aussitôt. « J’ai refusé d’avoir dix ans », écrit la narratrice... « J’ai voulu ne pas avoir dix ans », répète-t-elle. Quel drame fige ainsi la fillette sur le seuil de sa dixième année ? Quel drame aveugle la gueule du loup incarne-t-elle ? Le retour sur la mémoire de l’enfance se joue sur quelques unités. De 5 à 8. Spécifiques à chacune d’elles, les souvenirs s’accrochent. Le chapitre 8, consacré à l’école et aux amies de classe est marqué par l’annonce de la mort brutale de Cécile. D’autres souvenirs viendront émailler, plus avant dans le récit, « 2005 ― L'adresse à Cécile ». Il faut « trouver la brèche par laquelle entrer et celle par laquelle ressortir ». Chansons et rondes, Le Bled, L’Anniversaire, La classe verte, Les cerises, Les perles, l’assimilation de la fillette au Petit Chaperon Rouge, les visites au cimetière sont autant d’entrées possibles dans la remontée à rebours vers le temps de l’enfance arrêtée. « Il n’y aura pas d’écriture de l’enfance sans Cécile », annonce la narratrice dès la première page de « 1999 ― Effroi ». Devenue adulte, écrivain et auteur de nouvelles, la jeune femme enquête. Sur Cécile et sur elle-même : « Après ta mort la peur s’est installée en moi. L’effroi n’est pas quelque chose qui m’arrive mais qui me revient. Le temps n’a pas passé. » Dévorée par les forces nocturnes de cette mort qui la hante et la ronge, la narratrice n’a de cesse qu’elle ne trouve dans les pages du quotidien La Voix du Nord, les articles relatant les conditions de la mort de Cécile et des siens. « Je cherche un sens à une histoire qui a trait à la folie ». Poussée par le leitmotiv obsédant de la lamentation de la tourterelle, associée à la mort de Cécile ― « Pourquoi les tourterelles n’ont-elles pas été plus clémentes ? » ―, la jeune femme poursuit sa quête. Entre musique ― Schubert, La Jeune Fille et la mort ― , lectures et découvertes – l’histoire de sainte Cécile, vierge et martyre ―, s’écrit, dense de tendresse et de force, l’écriture libératrice du « Tombeau » pour Cécile. Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli |
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Je me souviens de l'émotion ressentie en lisant ce livre cet été. J'écoutais Schubert, j'arrêtais de lire, je reprenais le livre et j'entendais la dernière sonate de Schubert, cette "sonate entre vie et mort". J'ai été troublée par cette déchirure irréparable entre les deux fillettes, ce lien entre le chant des tourterelles et le parc où s'est cachée la mort. Fragile petit chaperon rouge épiée par l'ombre du loup. J'étais en attente de l'écriture de Sabine Bourgois après avoir traversé cette longue lettre passionnée de son précédent livre, Une autre que moi (K éditions 6/10), dédiée à Françoise Lefèvre. Dans Les Unités, la parole a pris le temps de remonter du lointain passé où tout s'était brouillé un jour par trop de douleur. C'est un très beau livre, tellement limpide, une parole vraie, une musique de l'âme. Je suis heureuse de le retrouver chez vous, Angèle. Votre billet est très intuitif et accompagne l'écriture de votre amie avec pudeur, sensibilité et intelligence.
Rédigé par : christiane | 25 octobre 2011 à 19:42