galerie Una Volta de Bastia
« Inventaire » et « travelling », mobilité du voyage et univers statique des objets, coexistent ici, rassemblés dans un même temps, dans un même espace. L’espace est celui de la galerie du Centre culturel Una Volta de Bastia. Lumineux, cet espace accueille jusqu’au 4 novembre 2011, la jeune artiste Jeanne de Petriconi et son exposition d’Art Visuel : « Pour Inventaire ». |
Art Visuel ? La vue est en effet sollicitée d’emblée par la présence magistrale d’une chevelure. Vaste chevelure, qui ondoie ou se recroqueville en vagues serrées, immobiles, métissage de couleur châtain et de reflets mordorés. Le choc est violent. Le désir de toucher, de caresser également. Mais l’œuvre est fragile, en dépit de l’impression de force vitale qui s’en dégage. Puissance occulte, chamanique peut-être, à l’œuvre dans le secret des cheveux synthétiques. Lianes et fibres prennent dans l’épaisseur de leur agencement la fluidité d’une chevelure sauvage, domptée pourtant par les doigts experts de l’artiste. Inspirée par la nature, feuilles et lianes emmêlées, mais détachée de son univers d’origine, la forme est ici présence. « Furie » hypnotise le visiteur, le fige un instant sur le seuil, dans la crainte de la rencontre avec ses propres enchevêtrements et ses propres démons. Dans la première grande salle, la série des « Créatures » semble répondre au même souci de cerner par l’agencement des couleurs et des formes, la nature en gestation. Prises dans le mouvement de la métamorphose, ces aquarelles colorées et hybrides dérangent et inquiètent. Mais n’est-ce pas là le propre de toute œuvre d’art ? Cependant, dans une alvéole de l’autre rive, des formes légères miment l’envol. Envol de feuilles fauves. « Possibilités chorégraphiques ». Tel est le titre donné à cet ensemble de feuilles (de châtaigniers ?) d’acier et rouille, légères, élégantes, souples, posées en apesanteur dans leur espace ouvert. Leur répondent en écho les dessins ― pastel et crayon ― qui reprennent inlassablement les mêmes mouvements, les mêmes contorsions, les mêmes dentelures. L’inventaire peut commencer, qui s’organise autour de la collecte et du « penser-classer ». Patiemment collectés, recueillis, classés, les objets de Jeanne de Petriconi sont objets familiers, livres, chaussures, torchons et bols, boîtes, carnets. Feuilles. Ou encore tuyaux, vis et clous, écrous et barres, serrures, cordes et grillages, culs-de-lampe, accessoires domestiques... Mais aussi traces d’objets, restes, formes déchues et passées, démantelées. Répertoriés dans leurs formes et leur état, couchés sur les menues pages des carnets ou sur des lattes de bois, les objets, tirés de l’oubli où ils étaient tombés, tracent les sillons d’un parcours intérieur. Itinéraire à travers le monde de l’artiste, « Paysage enroulé » déroule ses « matériaux divers » sur son parterre de papier peint. Là, sur ce lé qui ouvre un chemin à même le sol, se croisent et se rencontrent livres jaunis et parapluie, galoches éculées, taillées en deux ; cheminement, de trace en trace, jusqu’à l’enroulement final. Invitation au voyage, « Travelling » déroule les images récoltées par la mémoire. Le visiteur est séduit par la diversité et par la poésie qui se dégage de ce long assemblage-accordéon de tableautins peints recto-verso. Il jubile de suivre, carton après carton, le kaléidoscope immobile qui déplie, d’un mur à l’autre, son univers de couleurs et de formes. Le regard croise des personnages inattendus, ancrés pourtant dans l’imagerie collective de chacun ; il s’arrête sur des paysages et des architectures, isole scènes et objets que le déplacement met en présence. Le rythme s’accélère ou au contraire se ralentit. C’est selon. Le voyage se poursuit avec « Dust-drawings ». Les objets présentés sont les mêmes, isolés à nouveau à la manière d’inserts cinématographiques. Mais ils sont pris ici à travers le prisme de la poussière, suggéré par des myriades de pointillés. Sur le mur opposé à la fenêtre qui donne sur la rue, quatre compositions, assemblages « d’azulejos » réalisés au stylo bille bleu. Chaque carré présente un objet isolé de son monde, un détail détaché de son univers ordinaire. Parfois une fissure, une lézarde, une brisure vient troubler l’équilibre du monde de « Suerta », lieu familier et familial de résidence de l’artiste. Et si l’on n’y prend garde, l’œil ne retient de l’ensemble que la composition en bleu et blanc, une faïence lumineuse, pareille aux rêves oubliés de l’enfance ! Avec « Landscape », les lettres de polystyrène, prises dans le vertige de la vitesse, échappent dans le même temps au carcan du mot et à celui de l’espace. Le « paysage » tremblé semble vouloir prendre la fuite et s’échapper par la fenêtre. Humour et sourire. Objets inanimés, les objets de Jeanne de Petriconi ont bien une âme. Ils sont habités autant qu’ils habitent l’espace. Ils invitent à la méditation. Ils inventent « la traversée des apparences ». Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli
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■ Voir aussi ▼ → le site du Centre culturel Una Volta → le site de Jeanne de Petriconi → (sur YouTube) une vidéo sur Jeanne de Petriconi |
Retour au répertoire de septembre 2011
Ce texte est très beau. Etonnée, curieuse, inquiète, séduite, émue... une petite Alice se fraie un chemin dans la création étrange et onirique de Jeanne de Petriconi. Une oeuvre plastique forte et singulière est rencontrée par un poète. Le choc est violent et donne naissance à une exploration vibrante des formes, des matières, des couleurs, des traces par les mots qui font chemin dans l'exposition. L'une va vers l'autre, émouvante et inspirée. On ne voit pas vraiment les créations mais on voit le trouble qu'elles provoquent dans les yeux et le coeur de la passante. Et cela donne naissance à une écriture troublante qui emporte le lecteur vers une hésitation : suivre les mots et s'approcher du poète ou essayer de visualiser ce qui les a provoqués.
Le site de Jeanne de Petriconi (bien que n'offrant que des photographies de ses oeuvres) permet d'approcher cette chair splendide de métal, de miroirs brisés, de textiles, de dessins . Le croisement des deux expressions de Jeanne de Petriconi et d'Angèle Paoli donne envie de courir vers cette exposition mais aussi de lire encore la... passante. Un rêve ? Un livre qui lierait les deux traces...
Rédigé par : christiane | 24 septembre 2011 à 08:43