Art Visuel ? La vue est en effet sollicitée d’emblée par la présence magistrale d’une chevelure. Vaste chevelure, qui ondoie ou se recroqueville en vagues serrées, immobiles, métissage de couleur châtain et de reflets mordorés. Le choc est violent. Le désir de toucher, de caresser également. Mais l’œuvre est fragile, en dépit de l’impression de force vitale qui s’en dégage. Puissance occulte, chamanique peut-être, à l’œuvre dans le secret des cheveux synthétiques. Lianes et fibres prennent dans l’épaisseur de leur agencement la fluidité d’une chevelure sauvage, domptée pourtant par les doigts experts de l’artiste. Inspirée par la nature, feuilles et lianes emmêlées, mais détachée de son univers d’origine, la forme est ici présence. «
Furie » hypnotise le visiteur, le fige un instant sur le seuil, dans la crainte de la rencontre avec ses propres enchevêtrements et ses propres démons.
Dans la première grande salle, la série des «
Créatures » semble répondre au même souci de cerner par l’agencement des couleurs et des formes, la nature en gestation. Prises dans le mouvement de la métamorphose, ces aquarelles colorées et hybrides dérangent et inquiètent. Mais n’est-ce pas là le propre de toute œuvre d’art ?
Cependant, dans une alvéole de l’autre rive, des formes légères miment l’envol. Envol de feuilles fauves. «
Possibilités chorégraphiques ». Tel est le titre donné à cet ensemble de feuilles (de châtaigniers ?) d’acier et rouille, légères, élégantes, souples, posées en apesanteur dans leur espace ouvert. Leur répondent en écho les dessins ― pastel et crayon ― qui reprennent inlassablement les mêmes mouvements, les mêmes contorsions, les mêmes dentelures. L’inventaire peut commencer, qui s’organise autour de la collecte et du « penser-classer ».
Patiemment collectés, recueillis, classés, les objets de Jeanne de Petriconi sont objets familiers, livres, chaussures, torchons et bols, boîtes, carnets. Feuilles. Ou encore tuyaux, vis et clous, écrous et barres, serrures, cordes et grillages, culs-de-lampe, accessoires domestiques... Mais aussi traces d’objets, restes, formes déchues et passées, démantelées. Répertoriés dans leurs formes et leur état, couchés sur les menues pages des carnets ou sur des lattes de bois, les objets, tirés de l’oubli où ils étaient tombés, tracent les sillons d’un parcours intérieur.
Itinéraire à travers le monde de l’artiste, «
Paysage enroulé » déroule ses « matériaux divers » sur son parterre de papier peint. Là, sur ce lé qui ouvre un chemin à même le sol, se croisent et se rencontrent livres jaunis et parapluie, galoches éculées, taillées en deux ; cheminement, de trace en trace, jusqu’à l’enroulement final.
Invitation au voyage, « 
Travelling » déroule les images récoltées par la mémoire. Le visiteur est séduit par la diversité et par la poésie qui se dégage de ce long assemblage-accordéon de tableautins peints recto-verso. Il jubile de suivre, carton après carton, le kaléidoscope immobile qui déplie, d’un mur à l’autre, son univers de couleurs et de formes. Le regard croise des personnages inattendus, ancrés pourtant dans l’imagerie collective de chacun ; il s’arrête sur des paysages et des architectures, isole scènes et objets que le déplacement met en présence. Le rythme s’accélère ou au contraire se ralentit. C’est selon.
Le voyage se poursuit avec «
Dust-drawings ». Les objets présentés sont les mêmes, isolés à nouveau à la manière d’inserts cinématographiques. Mais ils sont pris ici à travers le prisme de la poussière, suggéré par des myriades de pointillés. Sur le mur opposé à la fenêtre qui donne sur la rue, quatre compositions, assemblages « d’azulejos » réalisés au stylo bille bleu. Chaque carré présente un objet isolé de son monde, un détail détaché de son univers ordinaire. Parfois une fissure, une lézarde, une brisure vient troubler l’équilibre du monde de «
Suerta », lieu familier et familial de résidence de l’artiste. Et si l’on n’y prend garde, l’œil ne retient de l’ensemble que la composition en bleu et blanc, une faïence lumineuse, pareille aux rêves oubliés de l’enfance !
Avec «
Landscape », les lettres de polystyrène, prises dans le vertige de la vitesse, échappent dans le même temps au carcan du mot et à celui de l’espace. Le « paysage » tremblé semble vouloir prendre la fuite et s’échapper par la fenêtre. Humour et sourire.
Objets inanimés, les objets de Jeanne de Petriconi ont bien une âme. Ils sont habités autant qu’ils habitent l’espace. Ils
invitent à la méditation. Ils
inventent « la traversée des apparences ».
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Jeanne de Petriconi est actuellement en résidence d’artiste en Finlande. Elle rejoindra ensuite la Suisse pour une durée de six mois. Remarquée dès 2010 par l’Arte Laguna de l’Arsenal de Venise qui lui a attribué la mention de « Best Young Artist », Jeanne de Petriconi s’est vu octroyer un séjour de trois mois en résidence d'artiste à Québec. Elle a par ailleurs déjà participé à de nombreuses expositions de groupe dont une à la Biennale Internationale pour jeunes artistes de Moscou en 2010.