Ph. angèlepaoli
CAP CORSE
À Jean-François Marsat-Subrini
J’ai tiré la table de bois brut sur la terrasse.
Je l’ai libérée de sa nappe de matière plastique.
J’écrirai mieux en contact direct avec le bois.
Je le sens sous mon avant-bras,
sous ma main gauche qui tient la feuille du bout des doigts,
tandis que la main droite construit la ligne d’un bout à l’autre.
Mes mains font confiance au bois ; je sais que je puis compter sur elles, pour qu’elles prennent la juste part du poème à naître.
Je suis torse nu, parmi l’air, le ciel, les ruines.
Ce ne sont pas les ruines de Pompéi ou du Parthénon.
Les élèves de l’École du Louvre n’en entendront pas parler.
Humbles ruines d’une petite maison de petits paysans corses, ruinés par l’incurie de gouvernements successifs, qui n’avaient pas inclus dans leurs vastes plans cette île splendide et sauvage, jaillie au milieu des flots, comme la main d’un noyé entre deux vagues.
Là-bas, juste en face, si je lève les yeux, je vois le couvent où, (m’a dit le maçon), il y a deux ou trois cents ans tournaient les moines.
C’était grande fête au quinze août. Chacun se levait à cinq heures du matin, pour aller retenir sa place à l’ombre d’un arbre. Les artisans de Dieu ont déserté ce poste avancé près du ciel.
Si du moins j’entendais le chant des cigales !
Hier, les enfants ont, par erreur, écrasé le grillon au fond de la baignoire. C’est une grande perte et un signe fâcheux que nos enfants, qui savent presque tout de l’informatique, ne sachent plus distinguer un grillon d’un cafard ou d’un scorpion.
Un taon tourne autour de moi. Je n’en ai cure. On se connaît bien tous les deux. Avec entêtement, il veille sur ce que j’écris.
Nous, de la nature, les taons, les poètes, les oiseaux, les escargots, les scorpions, les peintres, les musiciens, les ânes, nous avons conscience de nos responsabilités.
Midi moins cinq. Ce matin, à Ortali, nous sommes un peu tristes ; par mégarde, deux enfants ont tué l’ami du foyer, le gentil petit musicien, l’ami du couple et des enfants, le chanteur qui chantait gracieusement la nuit comme le jour.
On le devine, la télévision, la radio, les journaux n’en ont pas soufflé mot. Mais moi, en vertu des pouvoirs qui ne m’ont pas été conférés, j’espère de quiconque lira ou entendra ce poème, une minute de silence.
Le grillon est mort. Que le vent et les oiseaux déchirent le ciel et l’aillent dire à qui de droit, aux cinq coins de l’univers.
Jean-Pierre Rosnay, Danger Falaises instables, Collection le Club des Poètes, 2002, pp. 192-193-194.
La mort du grillon éteint la lumière du coeur. Quelle belle rencontre que cet homme qui écrit à même le bois sur la terrasse de la petite maison en amitié avec toutes ces petites bêtes de l'humble.
Rien d'étonnant, ici... C'est le blog d'un grillon porte-bonheur !
Rédigé par : christiane | 16 août 2011 à 11:38
Mille mercis de partager avec vos lecteurs cet instants qui me ramènent à mon adolescence, et à ce moment que nous passions dans la belle terre Corse. Mais je plaide non-coupable pour le grillon !
Rédigé par : Blaise Rosnay | 16 août 2011 à 23:53
Et pourtant, deux enfants ont procédé à la mise à mort du grillon. Pourquoi cette cruauté et d'où vient-elle?
Cette évocation du petit hameau d'Ortali à Cagnano me renvoie à l'été qui a précédé mon entrée en sixième. Nous étions tout une bande d'enfants du même âge et dans la chaleur immobile des après-midi d'août, nous nous livrions à des petites cruautés semblables à celles-ci. Les guêpes avaient notre prédilection, dont nous faisions griller les ailes. Sans aucune once de mauvaise conscience ni le moindre regret!
Rédigé par : Angèle | 16 août 2011 à 23:59