Au courrier de ce matin, le n° 150 de la
revue Décharge. Figure de proue de la première de couverture,
Valérie Rouzeau ouvre la voie des mers au navire Argô. Incarnée par une jeune sylphide à la cithare, la Poésie guide Jason et sa compagnie dans cette
Argô, œuvre magistrale du peintre surréaliste grec Nikos Engonopoulos (1910-1995).
Le dossier consacré à Valérie Rouzeau est composé d’une interview réalisée en février 2011 par Bruno Berchoud et d’une sélection de douze poèmes extraits des différents recueils publiés à ce jour :
Pas revoir, Neige rien, Va où, Récipients d'air, Mange-Matin, Quand je me deux. Avec, pour clore ces pages, un poème de jeunesse. Une invitation-clin d’œil malicieux à découvrir ou à redécouvrir, dans cette voix singulière où se mêlent simplicité sans faux-semblant et érudition poétique, l’une des poètes les plus aimées et les plus appréciées du monde poétique contemporain.
Ci-dessous, en guise de poème « inédit », le poème de jeunesse de Valérie Rouzeau, extrait de
La Poésie de A à Z (selon Jacmo), de Jacques Morin (Éditions Rhubarbe, 2010, pp. 208-209), publié en juillet 1988 dans le n° 46 de la revue
Décharge, et dans ce n° 150 (pp. 97-98).
[NOUS NOUS SERIONS PERDUS]
Nous nous serions perdus nous l’aurions fait exprès
Les rues inconnues auraient des noms de
poésie surprenante
nous nous engouffrerions dans un café
minuscule
et la queue du chien de la propriétaire
cognerait
régulièrement contre un des pieds de notre
table
tu dessinerais sur l’emballage des morceaux de
sucre un cœur un oiseau un rien
je t’écrirais OUI
nous partirions sans laisser de pourboire nous
serions tellement pauvres.
Tonnes de Dieu
Le soleil brille au-dessus de mes moyens
Une petite fille fait pipi sous un lilas mauve
Un oiseau encore s’échappe
C’est vrai que le facteur passe toujours plus tôt
le samedi
il a parfois tout l’érotisme de Verlaine dans sa
sacoche sans le savoir
Un oiseau lisse son plumage
Une petite fille a saigné
dans de grands draps très pâles
Tonnes de Dieu
On meurt toujours écrasé.
Talons aiguilles de quelles fées ou sorcières
avez
creusé autant de petits puits dans la glaise
que de mots à inventer ?
Je cherche toute documentation sur les fruits
sauvages en voie de disparition tu
m’apprends à vivre j’ai des hérissons craintifs
plein mes poches.
C'est une poésie des pensées gravillons sur lesquelles dérape agilement le petit vélo rouge (ensanglanté ?) de l'enfance. Le vélo a grandi, mais jamais déraillé irréversiblement. C'est un vélo de poète ou de facteur d'antan selon les jours. L'équilibre est trouvé dans la douce vitesse de passage des images. Comme en rêve, les sentiments s'envolent comme des vêtements flottés. La voix de Valérie Rouzeau est une tendre confidence à ne pas saisir brutalement.
Rédigé par : Mth Peyrin | 29 juin 2011 à 11:43