Chroniques de femmes - EDITO
Martin Ziegler, Notes Laura Fiori,
éd. Laurence Mauguin, Paris, 2011.
la bouche s’écrête fondant le feu froid la clairière s’étoile à partir des routes un bouquet de basilic habite un sein pour tresser la main en panier vacance de la roche les chemins de la campagne nous reconduisent sous leur couverture de givre le prédicat et la faux s’amenuisent devant le ciel de l’herbe le soir aimait Martin Ziegler, Chemins à fleur autrement blancs, Éditions L. Mauguin, 2000, sans folio. À parcourir les Notes Laura Fiori de Martin Ziegler, le sentiment, l’impression, d’emblée ressentis de pénétrer un tableau, sa diégèse – si tant est qu’il soit possible d’emprunter, avec à propos, ce terme pour les peintres également –, par le biais du regard et de la focalisation, plans, dévoilement, focalisation, et pour mieux examiner les lignes de force qui à la fois parcourent ces proses et guident notre œil. Et d’emblée aussi je tente, comme l’écrivait également Roland Barthes, de m’arracher à l’Imaginaire amoureux : mais l’Imaginaire brûle par-dessous, comme de la tourbe mal éteinte ; il s’embrase de nouveau ; ce qui était renoncé resurgit […] (Fragments d’un Discours amoureux, Seuil, Collection Tel Quel, 1977, page 126). Perspective d’abord longue de prairies vert amande, elle puis lui – comme là en défaut –, natures mortes, lit plissé de neige, lèvres lithiques… Comment se construit-elle donc la diégèse au sein du récit, l’histoire qui se raconte au sein de l’histoire, à la fois imagée mais également imageante ? Séquence 1 – extérieur jour Tableau Si l’œil commence par embrasser à perte de vue un paysage, image a priori fixe, tableau, perspective, cette dernière appelle d’emblée le regard, son mouvement, au travers de la route qui serpente (on relèvera ici l’allusion à la Genèse, l’isotopie édénique ou bien l’évocation du jardin secret), et cela jusqu’au lit d’une rivière débouchant chacune, route ou rivière, presque immanquablement sur une […] coupe claire au pied de la paroi. (s.f., incipit) |
À perte de vue, à peine coupées ici et là par le serpentement d’une route, prairies vert amande que teinte comme une brume d’œillets sauvages, de pavots nains, d’orchidées naines qu’on appelle ici manettes, d’herbes odorantes de toutes sortes, où le cœur aimerait et se laisse quelquefois aller à courir, à embrasser et à étreindre à l’aveugle par brassées entières les tiges courtes souvent coupantes et tomenteuses de ces étendues royales à défaut de pouvoir découvrir quelque jardin secret au sortir d’un de ces chemins forestiers aussi nets qu’un lit de rivière qui débouchent presque immanquablement sur une dernière coupe claire au pied de la paroi. (s.f., incipit) |
Jeu du regard et de sa transgression (on étreint à l’aveugle) ou encore de la pulsion scopique et de l’obstacle (pied de la paroi), du regard qui vient buter, arrêté presque immanquablement – comme le suggèrent dans ce passage l’abyme du « cliché », convenu si l’on veut, et celui consécutivement de la fiction dans l’image – au pied de la paroi. Séquence 2 – corps enchaîné/fondu extérieur jour Elle Apparition. Comme il suffirait de tourner une page pour que l’obstacle tombe. Intrusion alors du corps féminin dans le discours, lèvres, langue, où la métaphore – lèvres lithiques – force la figuration, le référent, l’écriture également lorsque celle-ci se veut exclusivement filmique et quasi synoptique, légèrement elle s’incline, pour sous-tendre la pratique scénarique. |
Légèrement elle s’incline. Et légèrement tressaille ce qu’en servant elle offre. Et comme elle se retire pour se taire tout en préservant intact son présent, ce qui serait à venir se scelle à l’image de ses lèvres. Lithiques lèvres légèrement ourlées de pâle qu’humecte non sans retenue une langue très lisse et qui semble autant vouloir en rehausser l’éclat que se délecter d’elles dans quelque union célibataire. (s.f., page suivante) |
Puis le relais de la métaphore et légèrement tressaille ce qu’en servant elle offre. On se trouve alors là « au bord de » sans cesse, à la commissure des lèvres littéralement et du discours au figuré – ce qui serait à venir se scelle à l’image de ses lèvres. Isotopie de la pierre, lèvres scellées (ou tues) et baisers solitaires, langue très lisse et qui semble autant vouloir en rehausser l’éclat que se délecter d’elles dans quelque union célibataire. |
Séquence 3 – tombe extérieur jour Lui |
Telle une marque pour ne pas être en reste et rivaliser encore de funestes fabrications, énième évocation de : la touffeur d’air tremblant, les ifs nombreux dans et ceignant le cimetière. (Flanquant l’entrée du « château », côté champs, les deux douglas géants, ses contemporains.) Demi-jour en Creuse – le poème télégraphié (?) en cette funèbre circonstance. Lui, manquant où il est, comme là en défaut, imminence toujours passée. Frêle bruit sourd d’oisillon chu des roses sur la planche ponctuant les pas, approchant, partant. Une cinquantaine de roses avant l’ultime poignée de terre fine rappelant vaguement celui de la pluie. (ibid., paragraphe suivant) |
Célébrations funèbres, alors qu’on vient de l’évoquer tout juste, elle, cette femme qui s’offrait – préservant son présent – et lui, dans la position du voyeur, dont on ne sait au final s’il ne s’agit pas aussi du narrateur scrutant la collusion du paysage avec les lèvres de celle qui s’incline, puis se retire, ou bien, lui, l’absent, manquant où il est, comme là en défaut, imminence toujours passée. Point le plus sensible de ce deuil. Progressivement aussi, intrusion sonore (du frêle bruit sourd d’oisillon chu des roses sur la planche ponctuant les pas, doublée de la poignée de terre fine rappelant vaguement celui de la pluie qui clôt l’évocation de la mise en terre). Les cadres du récit étant posés, les séquences de proses à partir de là s’enchaînent et s’appellent l’une l’autre, articulant la diégèse au sein du récit sur la coïncidence entre le « deuil amoureux » et le détail, à peine crypté, d’une « Nature morte » de pommes telles des joues […] avec de toutes petites mouches presque invisibles voletant d’un calice à l’autre. Articulation forte du recueil, que nous relevons en ne numérotant plus les séquences mais en les désignant par « n, n+1 et nième » désormais. Séquence n – mouches enchaîné/fondu intérieur jour Natures mortes |
Candide présent de l’aube. Deux corbeilles de pommes déposées devant la porte par la voisine. Rouges et rondes comme il se doit, telles des joues. Avec de toutes petites mouches presque invisibles voletant d’un calice à l’autre. (s.f.) |
Jouissance de l’image candide présent de l’aube dans la plus simple tradition picturale du XVIIIe siècle, baignant de lumière deux corbeilles de pommes déposées devant la porte par la voisine – synecdoque du visage féminin à peine esquissé, rouges et rondes […], telles des joues, où de toutes petites mouches presque invisibles volètent d’un calice à l’autre, insinuant la pertinence sémique au sein du complexe métaphorique deuil / nature morte / mouches. Pour rappel, une « mouche » à cette époque, désigne également le petit morceau de taffetas noir que les femmes se posaient sur la peau, de façon à en rehausser la blancheur pour mieux attirer le regard. Séquence n+1 – femme-paysage enchaîné/fondu extérieur jour Métamorphoses |
Il faudra toujours se rendre à l’évidence que sous ce grand lit, ce grand drap défait et un peu plissé de neige presque sans macules, ce sont seulement les signes finalement illisibles, sans attributs, et sans espoir de fonte, et tout à fait trompeurs, peut-être d’un désastre – mais le pire ne serait jamais atteint – peut-être d’un drame – mais cela existe-t-il dès lors qu’il n’y a pas de pendant ? – peut-être, après tout, d’un ravissement ou du moins d’une délivrance, d’un apaisement ou de rien. […] |
Transposition iconique et tout à la fois érotique du lit, du drap défait plissé de neige et des signes illisibles et trompeurs, du désastre – drame « le fading de l’autre, quand il se produit, m’angoisse [écrira Barthes à ce sujet] parce qu’il semble sans cause et sans terme. Tel un mirage triste, l’autre s’éloigne, se reporte à l’infini et je m’épuise à l’atteindre (Fragments d’un Discours amoureux, op. cit. supra, page 129). Signes illisibles et trompeurs parce qu’il pourrait aussi bien s’agir d’un ravissement aussi, moins d’une délivrance, d’un apaisement ou de rien, poursuit le narrateur. |
À moins qu’il fût question ici de quelque chose qui tout simplement transporte ou transit, à croire presque qu’on aime ce qu’il y a, peut-être la nature (mais la nature et le dire étant deux choses distinctes, depuis toujours), que cela permit juste de dire pour que rien ne soit ce qui est et pour être ainsi, un peu du moins, ne serait-ce que ce dire, en son sein même et par là tout à la fois et l’absence de tout, y compris l’ouverture de l’absence, et cette articulation de l’un et de l’autre […].(s. f., in « (Note de la fin) ») |
Lyrisme amoureux poussé à son point de plus vive incandescence à croire presque qu’on aime ce qu’il y a, peut-être la nature […] ou ne serait-ce que ce dire, en son sein même, là ou tu n’es pas, et par là tout à la fois et l’absence de tout, y compris l’ouverture de l’absence, et cette articulation de l’un et de l’autre. |
Séquence n+1 – scène enchaîné/fondu intérieur jour Métaphores Si l’écriture, peut-être bien, ne compense pas, rien, ne sublime pas – à la fois trop et trop peu –, c’est que les différentes sphères du langage, à la fois poétique et cinématographique, s’accommodent en revanche assez bien du défaut de parole, d’un grand silence.
|
Union ici non plus « célibataire » seulement comme avait pu l’évoquer le poète au début du recueil, mais langue désormais « orpheline » – et silence infiniment commenté de la relation amoureuse, silence de l’image qu’on scrute, de l’autre qu’on désire « je te désire » et de cette activité de discours désirante, du langage enfin comme une peau. |
Le langage est une peau [écrivait aussi Barthes à ce propos] : je frotte mon langage contre l’autre. C’est comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots. Mon langage tremble de désir. L’émoi vient d’un double contact : d’une part, toute une activité de discours vient relever discrètement, indirectement, un signifié unique, qui est « je te désire », et le libère, l’alimente, le ramifie, le fait exploser (le langage jouit de se toucher lui-même) ; d’autre part, j’enroule l’autre dans mes mots, je le caresse, je le frôle, j’entretiens ce frôlage, je me dépense à faire durer le commentaire auquel je soumets la relation (Fragments d’un Discours amoureux, op. cit. supra, page 87). |
  Séquence nième – scène extérieur jour Ile d’Yeu, ou Belle-Île Dire que le ciel était bleu. Impossible. Dire les yeux impossible, le blanc rougi, la pulpe tumescente. Yeux de biche jadis, impossible. À taire donc. Qu’on n’entre pas ici. Dire que jadis. Dire impossible (extrait, s.f.). Fascination et question de « vision », de révélation, à l’égard de cette femme, elle, apparue dans la perspective à l’incipit du recueil, de son corps – visage, cils, ongles, orteil, lèvres, grain de peau –, bribes de corps également perçues derrière les dormants d’une fenêtre très haute, pour voir et ne pas voir, dans une autre chambre très haute qui aurait abrité l’atelier de Michel-Ange (un peu plus loin dans le recueil). Dans ces Notes Laura Fiori, l’attention de Martin Ziegler reste constante à l’égard de l’image et de la structuration complexe du tissu métaphorique assurant le fondu/enchaîné des séquences entre elles, page à page, petites épiphanies multiples et comme lentement préparées – ou soudain fulgurantes comme ici, à l’excipit, celle de l’aube. |
De la baie battue par les bourrasques de pluie mêlée d’un peu de neige au banc, gris cendre, presque blanc quand la lune par intermittence perce. D’un souffle. Malgré la pluie et jusqu’à ce qu’elle cesse, et au-delà. Au frêne scintillant de ses bourgeons noirs, aux rosiers nus, aux nombreux oiseaux, merles, vanneaux, pies, geais, mésanges, au fermier qui saute d’un sillon à l’autre, le jeune soleil, comme souverain, sans la moindre tache d’aube, révèle la scène. (s.f., excipit du recueil) |
Cet ultime détail de « la scène » qui aussi devient à la fois « point de conjonction » et « point de fuite », du récit et de ses métamorphoses poétiques ou filmiques. |
Moment de l’affirmation [avancerons-nous avec Barthes enfin] j’ai été comblé (tous mes désirs abolis par la plénitude de leur satisfaction) : le comblement existe, et je n’aurai de cesse de le faire revenir : à travers tous les méandres de l’histoire amoureuse, je m’entêterai à vouloir retrouver, renouveler, la contradiction – la contraction – des deux étreintes (Fragments d’un Discours amoureux, op. cit. supra, page 122). Déborah Heissler D.R. Texte Déborah Heissler |
MARTIN ZIEGLER Source ■ Martin Ziegler sur Terres de femmes ▼ → écrire la mère vide (extrait de Foery) → Pan de route rompue (extrait de Notes Laura Fiori) → Ô ter abcède de Martin Ziegler, par Déborah Heissler → depuis seul → moments ■ Déborah Heissler sur Terres de femmes ▼ → « Des pas dans la neige » (poème extrait de Sorrowful Songs) → Sorrowful Songs (note de lecture d’AP) → Près d'eux, la nuit sous la neige (note de lecture d'AP) → La protection des pierres (extrait de Près d’eux, la nuit sous la neige) → sur l’herbe sèche ce jour → (dans l'anthologie poétique Terres de femmes) loin (extrait de Comme un morceau de Nuit, découpé dans son étoffe) → (dans la galerie Visages de femmes) le poème « Errance » (extrait de Près d’eux, la nuit sous la neige) ■ Voir aussi ▼ → (sur Terres de femmes) Laurence Mauguin | Libre parole |
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"Où qu’il fût question d’autre chose encore, à savoir d’une langue orpheline, ou d’autre chose encore que d’une langue" comme il est également écrit, Angèle ; belle mise en perspective "par l'image" du récit et de ses "métamorphoses poétiques ou filmiques", qui donne envie de lire plus avant le travail de Martin Ziegler. Merci à vous et merci à Déborah.
Rédigé par : H.Py | 23 mai 2011 à 19:38
Roland Barthes écrit aussi dans Fragments d'un discours amoureux, Seuil, tome V, éd. E. M (Vaisseau fantôme),193 :
"... le Hollandais Volant erre, en quête du mot ; s'il l'obtient (par serment de fidélité), il cessera d'errer (ce qui importe au mythe, ce n'est pas l'empirie de la fidélité, c'est sa profération, son chant).
Et avant dans (Pelleas-Ravel),192 :
"... ce qui importe, c'est la profération physique, corporelle, labiale, du mot : ouvre tes lèvres et que cela en sorte (sois obscène). Ce que je veux, éperdument, c'est obtenir le mot. Magique, mythique ?(...) et aussitôt, à travers la déchirure somptueuse d'un trait de harpe, un sujet nouveau apparaît."
Quel beau chant de deux entre M. Ziegler et D. Heissler.
"Racines en travail
par ce qui est d'obscur
demeure lumière
et nature morte
s'ancre sur la table
bleu"
M. Ziegler ("Traits")
Rédigé par : christiane | 24 mai 2011 à 10:11
Heureuse d'apprendre que cette note de lecture vous donne envie d'en lire d'avantage. Elle avait été initialement rédigée pour un Café Philo que l'écrivain, auteur et compositeur, Emmanuel Tugny anime actuellement à Ekaterinbourg, puis envoyée à Martin Ziegler pour qu'il puisse en prendre connaissance, et enfin confiée à Angèle (que je remercie ici). Heureuse donc de pouvoir partager ici un réel coup de coeur pour cette écriture à la fois somptueuse ou quelquefois plus intime du réalisateur, qu'il est également et par ailleurs, et dont je ne saurais trop recommander les ouvrages parus chez son éditrice Laurence Mauguin.
Rédigé par : Déborah Heissler | 24 mai 2011 à 14:05
Pour prolonger la joie :
mardi 31 mai 2011
à 19h30
les éditions L. Mauguin
ont le plaisir de vous inviter à rencontrer
Martin Ziegler
pour la présentation et la lecture
de deux nouveaux recueils
Foery poèmes
et Notes Laura Fiori proses
éditions L. Mauguin
poésie contemporaine
édition librairie expositions bibliothèque
1, rue des Fossés-St-Jacques
75005 PARIS
http://www.editionslmauguin.fr
Accès : RER B Luxembourg / Bus 21 27 38 84 89
Rédigé par : christiane | 31 mai 2011 à 10:46
"Depuis que nous sommes une conversation"...
C'était ce 31 mai, rue des Fossés-Saint-Jacques, chez Laurence Mauguin qui recevait Martin Ziegler pour la publication de ses deux derniers ouvrages : Notes Laura Fiori et Foéry. La salle se remplit peu à peu. Nous sommes entourés de livres, de toiles. Derrière la vitre, la rue tranquille, alors que nous sommes près de la place du Panthéon toute bruissante de touristes, d'étudiants, de voitures... Ici, l'antre de la magicienne et du poète qu'elle reçoit ce soir. Des petites chaises rouge-fraises-des-bois sont dépliées. Accueil chaleureux. Le soir tombe. La librairie s'éclaire de lampes douces. Le poète passe souriant, présent absent... Que va-t-il nous offrir ? Que choisira-t-il de lire de cette écriture née dans le silence ? Je regarde les deux livres, très beaux...
Laurence Mauguin nous dit d'abord sa joie de les éditer car cela fait cinq années que Martin Ziegler n'a pas publié de livres. Elle est heureuse de ce travail, de cette collaboration, de cet avènement. Dans une courte présentation, elle différencie les deux œuvres. Bien que l'une soit en prose et l'autre tissée de poèmes, elle voit de nombreuses passerelles de l'une à l'autre. La musique de la langue de M. Z., l'émotion, un lieu où tout se tient sans se toucher, dans un mouvement inépuisable pour dire, approcher le vide, traverser et aboutir à soi dans "un clignement d'être". Elle évoque le voyage qui se dessine dans Notes Laura Fiori, entre éloignement et retour dans une beauté qui transporte et transit, dans une écriture pleine de dire et de taire. Elle a connu cette écriture épuisée, dépouillée, et elle la sent aujourd'hui reprendre rythme, musique et force dans une lecture jamais finie.
Martin Ziegler s'inscrit délicatement dans les dires de son éditrice, saisissant Foéry.
Dans la petite librairie, le silence se fait attentif, amical, gourmand. M. Z. annonce une légère rupture entre les deux parties de ce livre.
Il lit. Voix chaude, tantôt mélodieuse, tantôt écorchée, ricochant sur les mots, les faisant sonner, vibrer, claquer, les accompagnant d'un souffle de marcheur.
Un silence.
Et aux poèmes succède la prose de Notes Laura Fiori. Voyage pas toujours linéaire. Lieux évoqués longtemps après leur traversée. Passages entre époques différentes de l'un à l'autre. La langue roule et fait son chemin en nous. Elle prend teinte, signature, musique. Des mots volés au passage pour faire plumes dans notre écoute. "Rien ne possède jamais quelque forme qui ne doit un jour la perdre..." Ecouter sans lire, modelés par la voix, l'intonation, le rythme qui sont les siens. Nous traversons, hélés, des paysages et des visages, des murs, des maisons, des chambres, des ports un peu tristes, des sentiers, des nuages. "Impossible de dire", se dit des yeux, du ciel. "Rien à se dire...sans fin". La voix se fêle, murmure, entre au loin de la mémoire qui s'est écrite, ici, sur ces pages si douces et claires de my-verger "Touffeur du jour" contre ce soir si paisible qui tombe sur Paris et clignote comme les mots. "Rien ne s'arrête ici ni de là ne part". Où sommes-nous ? "Gris tristes des lauzes, des arbres, des fleurs, des chiens qui aboient dans le village".
Il se tait et maintenant va se vivre un moment rare : un poète va s'offrir, vulnérable, acceptant, dit-il, toutes les questions. Et les questions viendront, d'abord timides et murmurées, et de plus en plus hardies. Lui écoute, sourit, s'étonne, réfléchit ou répond très vite. Nous entrons dans la vérité et le feu d'une vraie et profonde conversation.
Toutes ces questions, les voici en vrac, voilà ce qu'il a entendu et pétri pour faire un bon pain de joie à partager.
"Entendez-vous les sons de tous ces mots quand vous écrivez ? Les images ? Sont-elles déjà là ? La musique de cette écriture me touche. Je ne cherche pas forcément un sens... Est-ce du français, une langue que vous inventez ? Lisez-vous comme vous l'entendez ou comme vous voulez que ce soit entendu ? Il y a de l'innommable de l'impossible du rien un peu comme dans la langue de Beckett. Allez-vous vers une perte, un balbutiement, une élucidation ou autre chose ? Y a-t-il toujours un jeu sur la mise en pages ? Avez-vous toujours écrit comme cela, avec des trous entre les mots ? Je connais ces paysages. J'aime beaucoup ces petites fleurs ... Etes-vous ce soir un funambule entre vos écrits et ce que vous en dites ? Une danseuse lui propose de danser sur ses mots... Foéry ? J'entends Furie... Comment faut-il prononcer ce nom ? Et les enfants ? Comment écoutent-ils votre poésie ? quelle questions posent-ils ?"
A tout cela, il répondra avec beaucoup de sincérité rappelant cette phrase d'Hölderlin : "Depuis que nous sommes une conversation"...
"Oui, j'entends les sons des mots comme des notes. Le titre n'est pas à sens unique. Les images sont là mais l'écriture ne sert pas à voir des images : ça donne autre chose encore. Des sons... On ne sait pas très bien où l'on est... Il y a de la place. Un sens peut attaquer un autre sens pour rendre les choses plus instables. Entre "sauge" et "songe", il y a flottement, un joint pour l'incertitude de nos affirmations... Ce ne sont pas les termes qui sont essentiels mais ce qu'ils font sortir comme vide entre eux...
Une autre langue que le français ? Oui, j'ai eu ce fantasme d'écrire dans une langue qui n'est aucune de mes langues. Au fil des années, j'ai le sentiment d'avoir trouvé ma langue qui n'est pas la vôtre...
Quelqu'un lirait différemment, j'en suis conscient... peut-être mieux. Je le fais pour mon éditrice, mais même si c'est mal lu, personne ne lira comme moi. Peut-être, en écoutant, entrerez-vous dans la poésie...
Reformulez votre question... je ne veux pas être à côté de votre question...
Le rien, l'innommable ? De la pudeur, mais c'est aussi bien davantage. Une chose que je tente de faire surgir entre les termes... quelque chose d'autre qu'une langue... essayer d'indiquer un endroit où il y a quelque chose d'autre que la langue. Je ne sais pas si c'est à cela que le travail me mène... cela me conduit vers quelque chose de plus chaotique mais c'est encore joliment dit, donc un peu faux... Il y a toujours, dans n'importe quel travail, un danger de créer une unité comme si on voulait se sauver de ce chaos dans lequel nous sommes. Je m'efforce de ne pas donner une fausse unité : ça part dans tous les sens. Une fascination pour des termes comme s'ils abritaient quelque chose pour moi qu'il faut faire sortir. Chaque terme constitue à lui tout seul toute une série de phrases. Une image peut surgir, mais elle n'existait pas avant.
Je n'ai pas toujours écrit comme cela. C'est venu plus tard. J'ai écrit un récit, des nouvelles qui avaient une forme plus classique. Il faudrait poser la question à quelqu'un comme Déborah Heissler, qui a abordé ce sujet dans un travail universitaire, et qui pourrait montrer peut-être que l'ellipse fonctionne déjà comme des trous...
Vous dites que vous reconnaissez le paysage de l'Arche ? Méfiez-vous, je lui aurais peut-être donné un autre nom. La géographie, si elle me convient, c'est très bien, sinon je change les noms : Gênes... l'Arche... ça me convient.
Funambule ? L'écriture ne vient pas à la place de la parole. Elle est ma réponse, l'exact contraire de votre question. Faire ce travail de dialogue n'a qu'un seul but : c'est celui d'entamer ou de prolonger une conversation autrement. J'ai toujours compris ainsi la définition de l'être chez Hölderlin : "Depuis que nous sommes une conversation"....
Je ne vous dirai rien sur le titre Foéry. Il est à prendre complètement dans l'ensemble du texte. Il doit pouvoir répondre à toute une série de questions qui viennent du texte. Je prononce "à la suisse" ce qui renvoie à "Mélèze"...
Les enfants ? Ils ne sont jamais bêtes. En Allemagne, des poètes contemporains sont présentés aux enfants. Les enfants ont un esprit plus ouvert que les adultes. Ils acceptent de ne pas comprendre. Alors que les adultes..."
Voilà un peu de cette immense fête d'être ensemble, deux heures dans Paris-bulle bleue autour d'une petite librairie, rue des Fossés-Saint-Jacques...
Rédigé par : christiane | 31 mai 2011 à 23:46
Le webmestre de Tdf à Christiane
[commentaires de Laurence Mauguin transférés depuis Facebook]
1. Merci pour cette mise en ligne. Cette prise de notes est très sensible, et dit le fond des choses et l'ambiance, l'émotion et le sens. Ce fut une très belle soirée, où l'auteur et le public aussi ont donné beaucoup. Dans ces moments-là, je comprends pourquoi j'aime tant ce travail.
2. Merci Angèle c'était une très belle soirée et cette auditrice qui a transcrit la soirée m'a fait un grand cadeau, car grâce à elle j'en garde une trace sensible. Elle réussit à dire autant l'émotion que le sens des échanges qui ont eu lieu. La lecture était belle, l'écoute ne l'était pas moins. Les échanges d'une qualité assez rare.
Rédigé par : Laurence Mauguin | 01 juin 2011 à 11:39
Le webmestre de Tdf à Christiane
[commentaire de Marlène Laurens transféré depuis Facebook]
"Il y a toujours, dans n'importe quel travail, un danger de créer une unité comme si on voulait se sauver de ce chaos dans lequel nous sommes." C'est vrai que parfois ce souci de cohérence, d'unité, dans un monde qui n'en a pas, brise la spontanéité de l'expression...
Ce n'est pas le cas ici, bravo et merci pour cette restitution à travers des notes (notes bleues), on a un peu l'impression d'y avoir participé et c'est enrichissant...
Rédigé par : Marlène Laurens | 02 juin 2011 à 00:13