[DES ANNÉES APRÈS] Source Un voile rapide enveloppait le ciel. Il faisait froid. Tu lisais dans le cercle vert d’une lampe. C’était dans la salle Labrouste de l’ancienne bibliothèque. Autour du silence, le cocon doux et animé de la ville, la chaleur et au-dehors les vitres embuées des cafés. Ces manuscrits-là étaient déjà loin de ta vie ― Déjà pressée de chercher on ne sait quoi ailleurs... Tu verras les écureuils gris de Central Park. Tu chercheras des médicaments dans la tourmente de neige à Moscou. Déjà ces multiples conversations te sont promesse. Tu voudrais tout retenir : l’écharpe désinvolte de celui-ci, les ongles carminés des belles causeuses, les diamants taillés en poire rue de la Paix, la minceur interminable d’une passante effilée, les touffes de chrysanthèmes jaunes sur les tombes du cimetière du Montparnasse où tu allais saluer tes pères spirituels et l’hôtel de la rue Delambre où tu te retrouvais toujours. Dans le mouvement sans fin de la foule et des lumières tout ce qui fait l’humanité te semblait quotidiennement possible et les fronts gris des palais se fronçaient. Les chevaux de pierre s’élançaient et le fleuve coulait. Il naissait un chef-d’œuvre sous tous les pinceaux roux des artistes des quais. Les pigeons emmenaient le jour dans leurs ailes et tu allais dormir dans la chambre où peut-être écrivit Breton. Des années après le jour se lève dans le village où tu habites. L’amour a dédoré ses ailes d’ange au plafond. C’est un printemps humide tout imbibé de vert. Tu te trouves sur la colline, près de la collégiale. Tu n’écris plus de chansons, tu t’enveloppes d’ombre. Tu te nourris et te fortifies d’obscurité. Tu es souterraine et jumelle à la nuit. Le temps voyage comme une plume sur l’eau noire. Tu as abandonné bien des choses et il te reste vivre. 19 avril 1995 Évelyne Encelot, À partir d’écrire, textes réunis par Claude Ber, Jean Rubin et Frédérique Wolf-Michaux, Éditions de l’Amandier, 2006, pp. 104-105. |
■ Voir aussi ▼ → (sur le site de Claude Ber) Évelyne Encelot, ménestrelle aux mains nues [pdf] → (sur remue.net) Passion d’Évelyne Encelot, par Jean-Marie Barnaud (2 juillet 2010) |
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La plus dense écriture que j'ai rencontrée, ce jour, sur l'internet des sites et blogs littéraires. Elle sait.
Rédigé par : christiane | 20 avril 2011 à 22:33