Source Ph. CECI N’EST PAS DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE Ceci n’est pas de la critique littéraire. Tout au plus une esquisse de compte rendu. Pas même exhaustif. Teinté de quelques fantaisies de mon cru. Le 22 février 2011 étaient conviés à la librairie « Le Point de Rencontre », à Bastia, Marie-Jean Vinciguerra, Jacques Fusina, Marc(u) Biancarelli, Marc Giannesini. Tous connus et reconnus, en Corse, tant comme écrivains que comme chroniqueurs et critiques écrivant sur l’île, dans l’île. Animé par Hélène Mamberti, le sujet du jour portait sur la critique littéraire. La critique littéraire existe-t-elle ? Quel est son objectif ? Est-elle indispensable ? Peut-elle contribuer à tirer de l’oubli des ouvrages qui y sont tombés ? Est-elle susceptible de lancer un auteur ? Dans quelle mesure la critique peut-elle faire revenir à la lecture ? Comment, dans un journal, se répartit-on les critiques ? Autant de questions soulevées au cours de la soirée par Hélène Mamberti et abordées par les auteurs, à tour de rôle. Journaliste à Libération, Marc Giannesini établit une distinction entre critique universitaire et critique journalistique. La critique universitaire ou para-universitaire, très particulière (est notamment cité le nom de Roland Barthes), se trouve d’emblée écartée. Reste l’autre critique, à caractère événementiel. En ce qui le concerne, Marc Giannesini se situe depuis toujours du côté de la critique journalistique. Qu’elle concerne la télévision, le cinéma ou les livres, cette critique obéit à une éthique qui est celle du journal pour lequel travaille le journaliste. L’éthique de Libé n’est pas celle du Monde des livres ni celle du Figaro littéraire. Par ailleurs chaque journal a sa propre pratique de la critique littéraire. Le Monde pratique le commentaire ; Libération cite le texte. « On est entré dans l’ère américaine », affirme Giannesini. Comment cela fonctionne-t-il ? Le journal sélectionne les livres qu’il croit bon de retenir. Un critique littéraire payé par ce journal est censé lire les 60 à 80 services de presse qu'il reçoit par semaine. Mais en réalité, ce qui est demandé au critique d'un journal, c’est de faire de la copie. La répartition des textes critiques se fait, quant à elle, par rubriques, en fonction des sensibilités. Poésie/philosophie/histoire… Pour Giannesini, la configuration du terrain de la critique a changé. Dans le passé, les ouvrages étaient moins nombreux et il y avait davantage de lecteurs. Il y avait aussi de grands écrivains et de grandes plumes. Au journal Libération, Le Clézio n’intéresse personne. Les papiers qui sont rédigés pour lui sont des papiers de convenance, conventionnels. Quant à Houellebecq, il est « l’œuvre » de Libération. Dans la bouche de Giannesini revient à plusieurs reprises le nom d’Albert Thibaudet dont l’auditeur saisit qu’il fut et qu’il demeure toujours pour le journaliste de Libé, LA référence. Bertrand Poirot-Delpech, inaugure, lui, la « critique copinage ». Les livres sélectionnés sont les livres des amis. Et Giannesini de conclure sur ce point : la critique littéraire est morte. À relire ces notes prises sur le vif, je me demande s’il y a un lien de cause à effet entre les deux affirmations précédentes. Seul le critique de Libération pourrait nous le confirmer ou infirmer. Romancier et poète de langue corse, Marc(u) Biancarelli dit avoir du mal à se définir comme critique littéraire. Il n’a aucune obligation d’écrire sur un sujet ou sur un autre. Il choisit ce dont il veut parler. Son projet est de donner envie de lire ce que lui-même a aimé. L’auteur de Vae victis et autres tirs collatéraux, ouvrage publié en 2010 par les éditions Materia Scritta, se sent davantage écrivain que critique littéraire. Mais il voit dans la critique un relais, sans asservissement ni inféodation à qui que ce soit. Même si la « vox populi » s’est emparée de ses livres, l’auteur regrette l’insuffisance des relais critiques mais reconnaît qu’avec internet les retours sont considérables. Quant à ceux qui reprochent à l’auteur sa violence, son goût du stupre et des mots orduriers, il faudrait leur opposer une critique de la critique. Marie-Jean Vinciguerra reprend l’idée, déjà mentionnée par Giannesini, de « l’esprit de la maison ». Un esprit que le critique doit se garder de trahir ! L’auteur de Chroniques littéraires (ouvrage publié par Alain Piazzola) privilégie lui aussi le « coup de cœur ». Il insiste également sur le plaisir d’écrire ― un plaisir solitaire ― et celui de donner à lire ― plaisir du partage. Plaisir de lire | plaisir d’écrire. Les deux vont de pair et se complètent. Marie-Jean Vinciguerra cite en exemple Jean-François Revel pour qui le nombre et l’importance de critiques écrites sur un auteur constituent parfois à elles seules une œuvre à la manière de Borges. Ainsi également de l’écrivain Angelo Rinaldi, référence littéraire corse de Marie-Jean Vinciguerra. Les critiques qui lui sont consacrées constituent une œuvre à part entière, presque aussi importante que l’œuvre en elle-même. Dans un second temps de réflexion, Marie-Jean Vinciguerra évoque le XIXe siècle. C’est l’époque par excellence de la critique littéraire. Le siècle de Sainte-Beuve. Au siècle suivant, Sartre reprendra à son compte dans Qu’est-ce que la littérature les grandes questions qui faisaient alors débat : Que fait la critique ? Pourquoi écrit-on ? À cette époque-là, le champ de la critique littéraire déborde largement les frontières de l’Hexagone. Le rayonnement de la critique française s’exerce sur le monde. Qu’en est-il de la Corse ? L’espace géographique est-il un espace suffisant ? Adapté ? Selon Marie-Jean Vinciguerra, il faut distinguer critique du continent et critique insulaire. La critique insulaire s’appuie sur des thématiques propres à la Corse : la langue, l’identité culturelle, les femmes… Les insulaires apportent sur ces questions un éclairage tout particulier. Pour ce qui est du style, Houellebecq est, aux yeux de MJV, l’exemple même de l’écrivain sans style. Rinaldi, au contraire, pour qui « le style n’est rien en somme que l’éternité », est un orfèvre en la matière. Le critique se doit d’examiner si le texte résiste au temps. Que reste-t-il des écrivains corses dont Jacques Fusina retrace les parcours ? ENTRACTE Une dame blonde, fort agitée, fait intrusion dans notre petite assemblée. Elle se précipite, sac en bandoulière entortillé dans sa chevelure défaite, sur un siège demeuré vide au premier rang. Le rang des auteurs. Tout le monde pense qu’il s’agit d’une retardataire, invitée surprise d’Hélène Mamberti. D’autant que la dame, sur un ton précipité, s’empare de la parole, s’excuse du retard, s’en prend au public, invective les auteurs, s’insurge, peste que ça piétine, qu’on s’ennuie… Pas du tout, rétorque le public. Qui êtes-vous ? Présentez-vous au moins. Elle bredouille « Association ! Pastel » !!! C’est ce que je comprends. Elle repart dans un mouvement d’humeur martiale qui nous fait éclater de rire. Qui était-elle ? « Qui ce sera ? » Personne ne le sait. Personne ne le saura. Nul ne la connaît. Pas même Hélène Mamberti qui n’avait pas prévu une telle entrée en scène intempestive ! Retrouver le fil… Ayant relu Écrire en corse, dernier ouvrage de Jacques Fusina, Marie-Jean Vinciguerra rend compte de son admiration pour le souci de précision et d’exhaustivité qui a motivé l’auteur. Jacques Fusina met en effet en relief l’importance de la création littéraire insulaire. Ce que dit Marie-Jean Vinciguerra au sujet d’Écrire en corse est juste. Mais, si cet ouvrage d’érudit est remarquable en bien des points, il n’est pas à proprement parler un ouvrage de critique littéraire. Il s’agit, de mon point de vue, d’un ouvrage d’histoire littéraire davantage que de critique littéraire. Jacques Fusina revient sur la question des choix. Selon lui, le choix des ouvrages est d’abord celui du Journal. Mais aussi celui des éditeurs et celui de l’opinion. Les pressions, médiatique et mondaine, existent. Il faut savoir s’en détacher. C’est aussi au lecteur de se mettre lui-même en quête d’œuvres plus secrètes et plus originales. Pour Jacques Fusina, en ce qui concerne la Corse, il faut prendre en considération le fait que les longs articles rebutent les lecteurs. Tout l’art du critique consiste à présenter une œuvre de manière attrayante, sans en dévoiler tous les rouages. Il en est d'ailleurs de même pour toute forme de critique, qu’elle soit d’art ou de cinéma. Quant à la question de « l’éreintage » d’un auteur ou d’une œuvre, c’était pratique courante au XIXe siècle. Marie-Jean Vinciguerra, Jacques Fusina et Marc Giannesani sont bien d’accord sur ce point. Les haines d’auteurs y étaient effrayantes. Au XXe siècle, Rinaldi s’y entendait pour éreinter ses comparses. Cette pratique est aujourd’hui dépassée. Elle n’a plus cours. La critique corse, elle, est conciliante, sans doute parce que tout le monde se connaît. Mais cela lui est souvent reproché. Au cours du débat, d’ailleurs, une voix de femme, celle d’une comédienne, a exprimé cette critique. Le public corse, selon elle, est trop gentil et les acteurs se ressentent de ces critiques exclusivement positives. Pourtant, en soi, la critique est saine et constitue une mesure d’étalonnage à laquelle se référer. Sans regard critique, une troupe théâtrale ne peut progresser. Un acteur du « Teatrinu » de Bastia déplore à son tour l’absence totale de la critique dans la presse locale. Le théâtre mais également le cinéma souffrent de n’avoir aucun écho du travail qui est présenté au public. Mieux vaudrait être éreinté que d’avoir à supporter ce silence sans retour. Marie-Jean Vinciguerra met l’accent sur l’importance du débat, sur la confrontation des points de vue. Le critique engage sa responsabilité auprès du lecteur qu’il se doit de respecter. Marie-Jean Vinciguerra établit une différence entre style de rage et style de haine. Ainsi définit-il le style de Marcu Biancarelli dans Vae victis et autres tirs collatéraux comme un style de la rage. Un style de la fureur. Et d’ajouter que Vae victis, « ça vaut du Céline » ! À ce tournant du débat, je ne suis pas loin de penser que Marie-Jean Vinciguerra ne peut s’empêcher de s’aventurer sur le terrain d’une certaine complaisance. J’en éprouve une forme de déception et de bouillonnement intérieur ! Parce que ce qui est reproché aux Corses s’affiche là en direct sous nos yeux ! Sans que personne dans l’assemblée n’ose répliquer ni intervenir. Pas même François-Xavier Renucci ! Qu’est-ce qui pousse Marie-Jean Vinciguerra à oser cette comparaison ? Marcu Biancarelli prend-il celle-ci réellement au sérieux ? Pour ma part, si je perçois la rage qui anime à jet continu la plume de Biancarelli, je perçois aussi sa haine. Notamment dans un texte comme « Altercolonialistes ». Et si Biancarelli a des accents céliniens, son style ne me paraît pas du tout comparable à celui de Céline. L’auteur de Murtoriu est-il dupe ? D’ailleurs les auteurs fétiches de Biancarelli, c’est dans la littérature américaine qu’il faut les chercher. La grande. Celle de Faulkner, de Cormac McCarthy, ou de John Fante... Hélène Mamberti attire l’attention des auteurs sur le fait que de nouveaux espaces critiques se sont ouverts, qui ont modifié l’approche de la critique littéraire. De la verticalité, on est passé à l’horizontalité. Avec la révolution internet, tout le monde s’improvise critique littéraire, dit-elle. De sorte que le métier de critique littéraire tend à disparaître alors même que se multiplient sur la toile les nouveaux critiques. Qui n’ont peut-être pas à leur disposition les outils nécessaires pour accéder à « la critique » stricto sensu. François-Xavier Renucci oppose à ce point de vue que tout le monde a le droit d’écrire, de dire, d’exprimer son opinion, de proposer son analyse, quelle qu’elle soit. À propos de Jérôme Ferrari et de son dernier roman, Où j’ai laissé mon âme, François-Xavier Renucci fait d’ailleurs remarquer que le débat a eu lieu ailleurs que dans la presse. Il a eu lieu sur la toile, par blogs interposés. Il ajoute que, dans son blog L’or des livres, Emmanuelle Caminade a consacré toute une analyse à la question du style dans le roman de Ferrari, analyse dans laquelle elle répond point par point à une critique assez virulente de Joël Jégouzo. Y a-t-il eu pour autant véritable débat ? Jacques Fusina, pour qui la revue Kyrn est la première revue à avoir ouvert ses pages aux textes en langue corse, à la critique et à la création, la critique est un acte militant. « La critique est morte », répond à nouveau Marc Giannesini en écho assourdi ! Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli |
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Merci, Angèle, pour ce compte rendu qui complète largement celui de la librairie Le Point de Rencontre.
Je réagis ici à deux points qui me concernent :
― concernant la discussion sur le net à propos du style de Jérôme Ferrari, je pense qu'il y a vraiment débat, puisqu'il y a échange d'arguments, d'idées, explicitation de principes, analyses détaillées... (voir ici sur le blog "L'or des livres", d'Emmanuelle Caminade). Que faudrait-il de plus pour qu'il y ait débat ?
― concernant ta réaction à la comparaison faite par Marie-Jean Vinciguerra entre Marcu Biancarelli et Céline, elle est évidemment discutable. Il faudrait détailler pour savoir en quoi elle est intéressante et permet de lire les livres de Biancarelli différemment. Personnellement, je ne vois pas de "haine" dans les textes de Vae Victis, le dernier est même un appel que je ressens comme profondément humain et généreux. Tu me reproches de n'avoir rien dit, avalisant ainsi la complaisance alors que j'aurais dû, si je comprends bien, réagir pour être fidèle à une prise de position critique, c'est cela ? Mais, franchement, il me semblait que la soirée portait sur le sujet de la critique en général et pas sur l'oeuvre de Biancarelli, et puis je ne me sens pas capable de comparer en détail les deux styles. Il faudrait une soirée consacrée à l'oeuvre de tel ou tel auteur et en détailler à loisir les aspects, échanger nos points de vue. Tu aurais pu faire état de ton bouillonnement intérieur ce soir-là, non ?
Enfin, tout cela me convainc qu'il est à la fois très nécessaire, enthousiasmant et très difficile de signaler nos désaccords.
Rédigé par : François-Xavier Renucci | 25 février 2011 à 21:00
Bonsoir François-Xavier,
Merci à toi de réagir. Je pensais bien que tu le ferais puisque je te prends (gentiment) à parti. Pour une fois, je m’autorise un peu de provocation mais je n’ai aucun reproche à te faire. C’est juste une envie de jouer, comme ça, en passant. Revenons-en à notre dialogue.
J’ai seulement pensé une ou deux fois au cours des échanges de la soirée que tu réagirais et finalement cela ne s’est pas produit. Sans doute parce que nous n’avons pas forcément les mêmes raisons de réagir à tel ou tel moment.
A propos de Ferrari et de «L’or des livres», je fais la distinction — dans mon compte rendu — entre «débat» et «véritable débat». Je pense qu’Emmanuelle Caminade l’a fait tout autant que moi puisqu’elle écrit dans son papier:
« Et je trouve dommage qu’aucun dialogue ne s’instaure entre ces points de vue opposés, que l’on se contente de prendre acte de la variété légitime des goûts et des interprétations de chacun sans chercher à aller plus loin. »
Peut-être la juxtaposition de points de vue n’est-elle pas tout à fait le dialogue. En ce qui me concerne, je peux dire que j’ai pensé un moment répondre à Joël Jégouzo et je n’en ai plus eu le désir au moment de m’y mettre. Je n’ai donc pas persévéré, je le reconnais. Je pense d’ailleurs que j’ai été découragée par le «dialogue de sourds» qui s’est instauré entre Noann et Emmanuelle Caminade. C’est haro sur Emmanuelle Caminade, sous le prétexte fallacieux que le lecteur est roi ! Et donc qu’il a le droit d’écrire son ressenti comme il l'entend…
Je voulais justement m’opposer à toi (gentiment), mais aussi à Marie-Jean au sujet de la subjectivité. Voilà où la subjectivité nous mène. À l’impasse du dialogue (cf. Caminade/Noann) et à une forme de hargne que je fuis comme la peste. Je voulais au contraire faire l’apologie d’une certaine forme d’objectivité. Celle qu’apportent une méthodologie et des outils d’analyse (que la plupart des lecteurs/scripteurs n’ont pas à leur disposition). Tels que nous les avons pratiqués au cours de nos études et que nous avons tenté de les transmettre, aussi par moments, au cours de notre enseignement. Je ne dis pas qu’il est possible d’être totalement objectif. Mais, du moins, un certain recours à l’objectivité permet-il de maîtriser davantage une analyse et une argumentation !
Pour ce qui est de la comparaison Biancarelli/Céline, je suis bien d’accord avec toi. Il faudrait pouvoir «détailler» et l’un et l’autre pour se faire une idée de la pertinence du propos. Or, c’est bien parce que dans pareil débat— où l’on ne fait qu’effleurer les questions, il n’est pas possible d’approfondir une analyse sur tel ou tel auteur — et parce que le débat ne portait pas spécialement sur Marcu Biancarelli, que j’ai pensé qu’il s’agissait d’une remarque de pure complaisance. A partir du moment où l’on assène pareille affirmation sans en démontrer le bien-fondé, c’est, pour moi, totalement gratuit. Et donc suspect de complaisance. Du coup, j’en viens à suspecter M.J.V. d’être prisonnier lui aussi de ce dont il se plaint et qu’il alimente, consciemment ou inconsciemment. Peut-être parce qu’il ne peut/pouvait pas faire autrement.
Pour ce qui est du style de M. B. dans Vae victis, tu remarqueras que je n’ai pas porté de point de vue englobant. J’ai parlé en particulier de la chronique «Altercolonialistes». J’ai relu ce texte plusieurs fois et je perçois chaque fois la même haine de son auteur envers la République, envers l’Etat. Je peux comprendre ce qui motive pareille virulence mais je ne la supporte pas ! Et je maintiens qu’il y a là de la haine. J’ai lu d’autres textes de ce même ouvrage et j’ai perçu, au-delà de la rage dont parle M.-J.V., une grande fragilité et une grande tendresse. Je ne rejette pas M.B. Je me l’apprivoise petit à petit, en faisant jouer les oppositions, les siennes et les miennes. Mais pour le moment, son extrême virulence me fait peur. Comme me fait peur la violence des hommes, sur cette île.
Je te souhaite une bonne soirée (hou, il est tard !)
Rédigé par : Angèle Paoli | 26 février 2011 à 00:13
Je sens en filigrane une certaine déception des participants concernant cette soirée ?
Deux remarques :
- pourquoi le fait d'évoquer Céline à propos d'un texte de Marcu Biancarelli serait-il de la complaisance ? Venant de MJV qui est assez érudit pour comparer et analyser, je ne vois pas...
- Comme FXR je ne vois pas de haine dans les textes de MB. Ni "rage" ni "haine", je dirais "fureur"...souvent salutaire. La République et l'Etat, ce ne sont pas des personnes particulières contre laquelle s'exercerait sa "haine" ou sa "violence", ce sont des systèmes, des concepts, destructeurs bien souvent pour les cultures particulières qui composent cet Etat, des machines de guerre quelquefois (n'oublions pas un certain préfet brûleur de paillotes, plus diverses autres exactions qui ne "sortiront" sans doute jamais). Hier sur ARTE un film essayait (maladroitement) de démontrer la perversion de ces systèmes.
Rédigé par : francesca | 26 février 2011 à 09:23
Il n'y a pas eu un véritable débat en effet. Parce que mes "analyses" étaient imparfaites et mes opinions formulées (comme toujours !) de manière trop affirmée mais aussi parce que certains blogueurs (Noann entre autres ) ne comprenant pas le français, j'ai dû expliquer - sans succès - des passages de mon propre texte pourtant peu ambigus...
Néanmoins, la réponse de Joël Jegouzo précisant sa chronique et éclairant mes insuffisances, parfois fort justement, fut enrichissante. Il n'a pas donné suite à notre échange mais il me semble avoir aussi pointé dans son texte deux formulations qui, bien qu'il s'en défende, placent sa critique au niveau de "l'intention" de l'auteur.
Bilan mitigé donc, mais je ne regrette pas d'avoir enfreint un tabou. Vu l'ampleur des pratiques critiques dans la blogosphère, il me semble urgent d'oser critiquer les chroniques de ceux qui, comme moi, s'arrogent le droit d'y critiquer une oeuvre littéraire. La remise en cause ne peut à mon sens qu'être positive, même si certains ne l'acceptent pas de prime abord ...
Je rebondis - je bondis même ! - sur le propos de J. Fusina selon lequel il faudrait prendre en considération qu'un long article rebute le lecteur.
Est-ce à dire que le critique professionnel doit se soumettre à la demande supposée du lecteur et abandonner d'emblée l'idée de l'infléchir ? Se soumettre au formatage d'une Société de consommation décervelée ? Ca me rappelle bien des recommandations de certains de nos "spécialistes" de l'éducation et me semble participer à "la fabrique du crétin" dénoncée par Brighelli...
Rédigé par : Emmanuelle Caminade | 26 février 2011 à 11:14
Bonjour Francesca,
Personnellement, je ne suis pas vraiment déçue par cette soirée. Ou du moins, si je le suis, cela ne concerne nullement le moment d’échange, plutôt convivial et drôle, qui s’est déroulé à la librairie !
Le sujet étant très vaste et ne portant pas sur un ouvrage ou un auteur particulier, je ne pense pas qu’il eût pu de toutes manières en être autrement.
Pour en revenir au point précis de la comparaison Céline/Biancarelli, il n’y a en effet nul problème à évoquer Céline à propos de l’écriture de Marcu Biancarelli. Ce qui m’a le plus troublée, c’est la phrase «Vae victis, ça vaut du Céline». Et ça n’a pas été plus loin. Il n’y a eu ni analyse ni développement de ce point. Ca vaut peut-être du Céline, et, même s’il m’est arrivé de lire Céline (dont des extraits de Bagatelles pour un massacre) et si je n’ai pas l’érudition de M.J.V pour en débattre en spécialiste, ce que je crois vraiment - j'aimerais rajouter que c'est là ma conviction intime (et elle n’engage que moi) -, c’est que M.J.V ne le pensait pas vraiment et que ce n’était qu’une formule d'un soir. C’est là que je perçois une forme de complaisance. Mais, sans doute, M.-J.V. a-t-il ses raisons que je ne connais pas.
Autre point : M.-J.V. a employé le mot «rage», puis le mot «fureur» pour parler du style de Marcu Biancarelli. Selon mon dictionnaire préféré, le Petit Robert (auquel je me réfère chaque fois que j’ai un doute en matière de lexicographie), le mot «rage» traduit un état, un mouvement de colère, de dépit extrêmement violent, qui rend agressif. Le mot «fureur» implique, lui, une sorte d’égarement, de folie quasi divine, inspirée. Or, à un autre moment, M.-J.V., opposant Houellebecq (le néant, sans style ni perspective) à M.B., a parlé, à propos de Marcu de «violence», de «révolte», «d’aspiration morale d’ordre spirituel». M.B., sur cette dernière affirmation, a répondu : «C’est peut-être un peu excessif. » Cela pourrait laisser entendre que M.B. est probablement peu sensible à ce qui relève du sacré, ou du divin. Le mot «rage», choisi d'emblée par M.-J.V., me semble donc plus approprié que le mot «fureur».
Pour ce qui est des systèmes, je crois savoir qu’ils sont mis en place par des hommes. Ils sont leur œuvre. Ce sont eux qui les érigent et les distordent à leur gré en fonction de leurs intérêts «propres» [sic]. Pour satisfaire leur soif de pouvoir, inextinguible. Le film d’hier soir sur Arte (film que j’ai regardé) laissait entendre que des membres du gouvernement manipulaient les uns et les autres. Chacun dans son clan est la marionnette de l’autre! Ce qui n’est pas prévu, ce sont les bavures, les erreurs de parcours, chacun poursuivant ses objectifs propres. Tout semblant orchestré en haut lieu, de manière hiérarchisée, pour en venir à un résultat pitoyable : «Main basse sur une île», l’argent sale étant réinvesti dans les milliers de villas identiques — avec vue sur la mer, piscine et pinède assorties —, qui l’emportent désormais du nord au sud de l’île, sur le maquis et sur les montagnes. Une terre vierge pour promoteurs et entrepreneurs assoiffés d’argent facile et pour touristes et bobos à la bonne conscience bien ancrée, avec la morgue du propriétaire en plus ! Et pour nous, les Corses, un sentiment exacerbé d’impuissance. Oui, il y a de quoi être révolté! Et sur ce plan-là, je rejoins Marcu Biancarelli. Il n’y a sans doute qu’un pas entre le débat littéraire et le débat politique. Nous ne sommes pas éloigné(e)s de certaines des problématiques posées par Sartre dans Qu’est-ce que la littérature ?. Ouvrage cité à plusieurs reprises par M.-J.V. au cours de la soirée.
Je vous souhaite une bonne journée, Francesca.
Rédigé par : Angèle | 26 février 2011 à 12:17
Emmanuelle, j’ai relu, hier soir, pour me rafraîchir la mémoire, les interventions de Noann. Je vous admire de la constance avec laquelle vous y répondez, de l’obstination que vous mettez à poser des arguments susceptibles de faire avancer le dialogue. Un coup d’épée dans l’eau, hélas ! Et là, en l’occurrence, il ne s’agit même plus de style.
Je suis d’accord avec vous au sujet de l’intervention de J.Fusina. Je pense néanmoins qu’il faut tenir compte des supports sur lesquels on s’exprime. Il est évident que l’on n’écrit pas les mêmes choses ni de la même façon selon que l’on s’adresse à Corse matin ou à Europe ou au Matricule des Anges ou, il y a quelques années, à Rigiru ! Il est évident aussi que l’on ne s’adresse pas non plus au même public. Jacques Fusina se met au niveau de son lectorat qui est familiarisé avec son style. Et les papiers que j’ai l’occasion de lire dans Corse matin, au ton enlevé et au raisonnement rigoureux, sont toujours très intéressants. Et accessibles à tous. Je suppose que lorsque Jacques Fusina est face à des étudiants, il fait appel à d’autres critères. Peut-être faut-il être modestes et dans un premier temps, accepter de prendre en compte le paramètre du public corse, en espérant que d’autres modes de lecture, d’autres niveaux d’écriture seront un jour accessibles à un plus grand nombre. Il est vrai qu’aujourd’hui, comme le dit M.B. dans Vae victis, la Corse est confrontée à un désarroi culturel sans précédent ! C’est aussi un sujet très préoccupant.
Rédigé par : Angèle | 26 février 2011 à 14:12
"Présences" - Judith Chavanne (Revue NU(e), n°45 - page 193)
"Quelqu'un parle, c'est à un autre, doucement
paroles à peine, un rythme, un bruissement
comme d'un peu loin dehors parvient
le froissement du feuillage ; on le dirait adressé.
Il arrive que l'enfant entende ainsi qu'on lui parle :
quelqu'un au jardin ou quelque chose
il se met à tutoyer
cette fois la rose, une autre le pommier.
Quelqu'un parle ; il cherche de ses mots un autre
qui s'est dérobé, mais qui entend
s'empourpre, comme le fruit ou la rose
comme si le sang lui revenait."
Rédigé par : christiane | 26 février 2011 à 14:27
on en reviendra à Shakespeare:
"La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus. C’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien."
William Shakespeare
Dans "fureur" je vois aussi la passion ("fureur de vivre") et s'il ne s'agit pas de quête spirituelle (d'accord, on irait un peu loin) il y a énormément de symbolique, on peut parler de textes "inspirés" (lire Guerra civile et certains passages de Murtoriu comme celui sur u Vardatu). Ce qui est certain c'est qu'il y a une recherche exigeante de la vérité, qu'on ne trouve certes jamais, mais qui a le mérite de creuser profond, de regarder des réalités terribles en face, de rejeter le "faux", le mythe frelaté...
Pour rire un peu, à présent, rappelons que pour le premier livre de poésie de MB, Viaghju in Vivaldia, il y a bien eu une tentative de critique, celle de Paulu Desanti dans Bona nova et la réaction de MB fut épidermique. Il raconte avec humour le duel qui n'eut pas lieu avec celui qui devint son ami, dans Nuvelli tonti, sur l'ancien foru corsu (LOL).
Ensuite, il est vrai que ses livres ont fait un parcours original, qui ne doit rien à l'inexistante critique : refus de subvention à son éditeur pour Prighjuneri (forme de publicité, après tout, quand on y pense), puis deux prix coup sur coup à Ouessant, puis le prix des lecteurs et enfin sa pratique intéressante d'Internet et une forme de consensus naissant sur son oeuvre d'abord controversée : il n'est plus un auteur "maudit" mais de plus en plus celui à qui on fait référence (attention, peut-être y a-t-il même là un danger, une "trappula" ...re-lol)
S'il y avait eu une critique professionnelle, aurait-il été reconnu plus vite? Rien n'est moins sûr : les critiques ont aussi leurs travers, leurs modes, leurs préjugés, leurs affiliations, ils n'acceptent pas plus facilement que les autres la "nouveauté", l'OVNI, à part quelques esprits très libres...
Rédigé par : francesca | 26 février 2011 à 18:50