Le 6 février 1793 meurt à Paris le grand maître de la comédie italienne moderne, Carlo Goldoni. Image, G.AdC Exilé en France par choix, Goldoni accepte, en 1762, l’invitation de la Comédie Italienne de Paris. Il quitte Venise, sa ville natale, pour toujours. De cette période sombre, au cours de laquelle Goldoni pense que sa veine théâtrale s’est tarie, le dramaturge laisse des Mémoires dans lesquelles il consigne événements de sa vie d’homme et d’artiste. Elles seront publiées en 1787, quelques années avant sa mort. Professeur d’italien de Madame Adélaïde, fille de Louis XV, Carlo Goldoni vit à Versailles de 1765 à 1769. La pension versée par le roi en 1769 lui permet de rejoindre Paris. Après un passage en 1771 au Théâtre Français (la Comédie-Française) où est donné avec succès Le Bourru bienfaisant, Carlo Goldoni est à nouveau reçu à Versailles où il séjourne de 1775 à 1780. Comme professeur d’italien des sœurs de Louis XVI, cette fois. Pour financer son retour à Paris, Goldoni se voit contraint de se séparer de sa bibliothèque théâtrale qu’il vend à Gradenigo, secrétaire de l’ambassadeur de Venise à Paris. En juin 1792, l’Assemblée législative supprime les pensions de la cour. Carlo Goldoni, aveugle et malade, meurt dans la misère. Marie-Joseph Chénier venait tout juste d’obtenir de la Convention le rétablissement de la pension du grand dramaturge vénitien. Mais l’annonce est arrivée trop tard. C’est au cours de la période la plus heureuse de sa vie, et aussi la plus féconde – de 1750 à 1760 – que Goldoni compose ses chefs-d’œuvre. De ces années vénitiennes fécondes datent La Putta onorata (L’Honnête Fille, 1748-1749), La Locandiera (1752-1753), Il Campiello (La Petite Place, 1755-1756), I Rusteghi (Les Rustres, 1759-1760), La Trilogia delle Villegiature (La Trilogie de la villégiature), Le Smanie per la villegiatura, Le Avventure della villegiatura, Il Ritorno della villegiatura (Les Folies, Les Aventures, Le Retour des villégiatures), Le Baruffe chiozzotte (Barouf à Chioggia), Una delle ultime sere di Carnovale (Une des dernières soirées de Carnaval, 1761-1762). LE SERVITEUR DE DEUX MAÎTRES Il faut remonter à 1745 pour retrouver le canevas du Servitore di due padroni (Le Serviteur de deux maîtres). Plusieurs fois modifiée, reprise, savamment élaborée, la pièce d’Arlechino (Arlequin) est représentée pour la première fois à Milan en 1747 par la Compagnie Sacchi. Antonio Sacchi, « acteur excellent », avait fait à Goldoni, alors avocat à Venise, la demande d’un Truffaldin. Et après bien des hésitations, Goldoni de confier : « Quelle tentation pour moi !... La Comédie avait été ma passion ; je sentis renaître dans mon individu l’ancien goût, le même feu, le même enthousiasme ; c’était le Valet de deux maîtres le sujet qu’on me proposait ; je voyais quel parti j’aurais pu tirer de l’argument de la piève, et de l’Acteur principal qui devait la jouer ; je mourais d’envie de m’essayer encore… Je ne savais comment faire… Les procès, les clients venaient en foule… Mais mon pauvre Sacchi… Mais le Valet de deux Maîtres… Allons encore pour cette fois… Mais non… Enfin, j’écris, je réponds, je m’engage. » Désireux de mettre en scène une comédie vraie, fondée sur l’observation des mœurs et des caractères humains, observateur ironique de son temps, Goldoni s’éloigne définitivement de la tradition aulique et héroïque du XVIIe siècle ainsi que des conventions de la Commedia dell’Arte, réduite aux jeux d’acteurs et aux lazzi. Atto primo, Scena ottava Florindo, poi Truffaldino. Florindo. Che razza di umori si danno ! Aspettava proprio che io lo maltrattassi. Oh, andiamo un po’ a vedere che albergo è questo... Truffaldino. Signor, l'è restada servida. Florindo. Che alloggio è codesto ? Truffaldino. L’è una bona locanda, signor. Boni letti, bei specchi, una cusina bellissima, con un odor che consola. Ho parlà col camerier. La sarà servida da re. Florindo. Voi che mestiere fate ? Truffaldino. El servitor. Florindo. Siete veneziano ? Truffaldino. No son venezian, ma son qua del Stato. Son bergamasco, per servirla. Florindo. Adesso avete padrone ? Truffaldino. Adesso... veramente non l’ho. Florindo. Siete senza padrone ? Truffaldino. Eccome qua ; la vede, son senza padron. (Qua nol gh’è el me padron, mi no digo busie). (da sè) Florindo. Verreste voi a servirmi ? Truffaldino. A servirla ? Perché no ? (Se i patti fusse meggio, me cambieria de camisa). (da sè) Florindo. Almeno per il tempo ch’io sto in Venezia. Truffaldino. Benissimo. Quanto me vorla dar ? Florindo. Quanto pretendete ? Truffaldino. Ghe dirò: un altro padron che aveva, e che adesso qua nol gh’ho più, el me dava un felippo al mese e le spese. Florindo. Bene, e tanto vi darò io. Truffaldino. Bisognerave che la me dasse qualcossetta de più. Florindo. Che cosa pretendereste di più ? Truffaldino. Un soldetto al zorno per el tabacco. Florindo. Sì, volentieri ; ve lo darò. Truffaldino. Co l'è cusì, stago con lu. Florindo. Ma vi vorrebbe un poco d'informazione dei fatti vostri. Truffaldino. Co no la vol altro che informazion dei fatti mii, la vada a Bergamo, che tutti ghe dirà chi son. Florindo. Non avete nessuno in Venezia che vi conosca ? Truffaldino. Son arrivà stamattina, signor. Florindo. Orsù; mi parete un uomo da bene. Vi proverò. Truffaldino. La me prova, e la vederà. Florindo. Prima d'ogni altra cosa, mi preme vedere se alla Posta vi siano lettere per me. Eccovi mezzo scudo; andate alla Posta di Torino, domandate se vi sono lettere di Florindo Aretusi ; se ve ne sono, prendetele e portatele subito, che vi aspetto. Truffaldino. Intanto la fazza parecchiar da disnar. Florindo. Sì, bravo, farò preparare. (È faceto : non mi dispiace. A poco alla volta ne farò la prova) (entra nella locanda). Acte I, scène 8 Florindo, puis Truffaldin. FLORINDO. Quels drôles de gens on rencontre ! Il attendait que je le maltraite. Oh ! allons un peu voir ce qu’est cet hôtel… TRUFFALDIN. Monsieur, c’est fait. FLORINDO. Quel genre de logis est-ce ? TRUFFALDIN. C’est une bonne auberge, monsieur. Bon lit, beaux miroirs, une cuisine magnifique, avec une odeur qui réconforte. J’ai parlé avec le garçon. Vous serez traité comme un roi. FLORINDO. Et vous, quel métier faites-vous ? TRUFFALDIN. Serviteur. FLORINDO. Vous êtes vénitien ? TRUFFALDIN. Je ne suis pas vénitien, mais je suis citoyen de la République. Je suis bergamasque, pour vous servir. FLORINDO. En ce moment, vous avez un maître ? TRUFFALDIN. En ce moment… à vrai dire je n’en ai pas. FLORINDO. Vous êtes sans maître ? TRUFFALDIN. Me voici ; vous voyez, je suis sans patron. (À part.) Mon patron n’est pas ici, je ne mens pas. FLORINDO. Vous entreriez à mon service ? TRUFFALDIN. À votre service ? Pourquoi pas ? (À part.) Si les conditions étaient meilleures, je changerais de chemise. FLORINDO. Au moins pour le temps où je suis à Venise. TRUFFALDIN. Très bien. Combien voulez-vous me donner ? FLORINDO. Combien demandez-vous ? TRUFFALDIN. Je vais vous dire : un autre patron que j’avais, et que maintenant, ici, je n’ai plus, il me donnait un philippe par mois, plus les frais. FLORINDO. Bien, c’est ce que je vous donnerai. TRUFFALDIN. Il faudrait que vous me donniez quelque petite chose en plus. FLORINDO. Combien demanderiez-vous en plus ? TRUFFALDIN. Un petit sou par jour pour mon tabac. FLORINDO. Oui, volontiers ; je vous le donnerai. TRUFFALDIN. Si c’est comme ça, je reste avec vous. FLORINDO. Mais il me faudrait quelques renseignements sur vous. TRUFFALDIN. Si vous voulez des renseignements sur moi, allez à Bergame, et tous vous diront qui je suis. FLORINDO. Vous n’avez personne à Venise qui vous connaisse ? TRUFFALDIN. Je suis arrivé ce matin, monsieur. FLORINDO. Allons, vous m’avez l’air d’un homme de bien. Je vous prendrai à l’essai. TRUFFALDIN. Essayez-moi, et vous verrez. FLORINDO. Avant tout, j’ai hâte de savoir s’il y a des lettres pour moi. Voici un demi-écu, allez à la Poste qui vient de Turin, demandez s’il y a des lettres pour Florindo Aretusi ; s’il y en a, prenez-les et apportez-les tout de suite, je vous attends. TRUFFALDIN. Pendant ce temps, faites préparer le déjeuner. FLORINDO. Oui, bravo, je vais le faire préparer. (À part.) Il plaisante ; cela ne me déplaît pas. Peu à peu, je le mettrai à l’épreuve. (Il entre à l’auberge.) Carlo Goldoni, Arlequin serviteur de deux maîtres | Il servitore di due padroni, GF-Flammarion, 1996, pp. 96-99. Édition bilingue, Introduction, bibliographie, chronologie et texte français de Valeria Tasca. |
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