Source 4 février 1930 Adrienne Monnier*. « Aux amis des livres » 7, rue de l’Odéon, j’ouvre la porte après trois heures. Je ressens une certaine différence avec les autres librairies. Bien sûr, cela ne pourrait pas être une librairie d’ancien. Adrienne Monnier ne semble s’occuper que de livres récents. Mais c’est moins coloré, animé ou désordonné que dans d’autres magasins. Une chaude et claire touche ivoirine est répandue sur les larges tables. Elle vient peut-être des couvertures transparentes qui recouvrent ici beaucoup de livres — tous des éditions originales d’auteurs contemporains, des tirages luxueux. Je m’avance vers cette femme, la plus proche, celle qui représenterait la plus grande déception quant à l’espoir fugitif et superficiel de rencontrer ici une jolie jeune fille, si elle s’avérait être Adrienne Monnier. Une femme blonde, à la large carrure, avec des yeux bleus très clairs, entièrement habillée d’un rêche lainage gris de coupe monacale. Vêtement qui porte sur le devant des boutons en cloisonné, garniture à l’ancienne mode. C’est bien elle. J’ai aussitôt l’impression de me trouver en présence de l’un de ces êtres que l’on ne peut jamais approcher avec assez de respect et qui, sans donner le moins du monde l’impression de compter sur ce respect, pas un seul instant ne le repousseront ou ne le minimiseront. Il est étonnant que cette femme n’ait, comme elle le dit, croisé que deux fois le chemin de Rilke, qui a pourtant longtemps vécu à Paris. J’imagine qu’il aurait dû montrer la plus grande sympathie envers un être d’une telle pureté rustique, d’essence à la fois si monacale et cosmique. D’ailleurs, elle l’évoque très joliment : « Il semble avoir laissé à tous ceux qui l’ont un peu connu cette impression : être en accord intime avec tout ce qu’ils font. » Dès son vivant il pouvait leur transmettre cette impression sans prononcer un seul mot, simplement par sa façon d’être-là. Nous sommes assis à son bureau étroit, chargé de livres, tout à fait à l’avant du magasin. Bien sûr I.M.S. ** est notre premier sujet de conversation ; mais ensuite ce sont les vierges sages et folles. Elle parle des différentes figures de la vierge sage — celle de Strasbourg, qui lui a inspiré le passage que j’ai lu, celle de Notre Dame de Paris, « qui est si désabusée, si bourgeoise, si parisienne — ça vous rappelle ces épouses qui ont appris à se faire à leur mari et qui ont cette façon de dire : Mais oui, mon ami ; qui pensent un peu plus loin. » « Et maintenant » lui aurait dit Paulhan ayant fait la connaissance de la « vierge sage », « vous allez nous écrire une « vierge folle ». Mais non ! La vierge sage est toujours, même si elles ont sept ensemble, l’Unique — alors que pour la vierge folle, elles sont nombreuses, ce serait toute la bande. […] Walter Benjamin, « 4 février 1930 » (extrait), Journal parisien in Sur Proust, Éditions Nous, 2010, pp. 79-80.
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■ Adrienne Monnier sur Terres de femmes ▼ → 1er février 1926 | Italo Svevo et Adrienne Monnier ■ Voir aussi ▼ → (sur Terres de femmes) Gisèle Freund | Rencontre avec Walter Benjamin in La galaxie de Gisèle Freund → (sur Terres de femmes) 2 février 1922 | Première publication d’Ulysse → (sur Terres de femmes) 29 juillet 1935 | Walter Benjamin, Hachich à Marseille |
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