Ph., G.AdC VERSETS 1 Qui voit la mort, il ne sait pas les poivriers sertissant d’or Ce haut livre de cimes où prend le fleuve son étal, ni ô mystère Sur le sable les coqs, dormeurs inattendus. C’est le sable d'azur semé de sable noir, c’était la larme Qu’hier nous enterrions sur le rivage, près des voiles mortes. Et les gommiers, rêves du vent, de voiles vives, Ornent à peine la plaie muette des rochers ! C’est tout là-haut La solitude, puis un mouton que l’on égorge pour la fête, Tissant la lie de cette mort, quand vient le jour. 2 Et le poète se connaît, pourtant s’adresse un plein d'autans, De tempêtes : c’est une mer qui se requiert, ne se trouvant. Comme une mer jalouse, elle-même amante, se déchire, Déchaînée ― jusqu’aux arbres, qu’elle ne peut atteindre. 3 J’étreignais le sable, j’attendais entre les roches, j'embrassais L’eau puis le sable, les rochers — ce cœur des choses rêches, — puis un arbre ! M’écriant Que le langage se dénoue et que telle baigne, en ce lieu, Qui aurait allumé plus pur encore le mirage. ― Les trois orties de l’ignorance ont poussé devant ma porte ! Quel est ce lieu, quel est cet arbre sur la falaise Et qui ne cesse de tomber ? Édouard Glissant, La Terre inquiète [éditions du Dragon, 1955] in Anthologie de la poésie française, Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2000, pp. 324-325. Édition de Jean-Baptiste Para. Préface de Jorge Semprun. |
ÉDOUARD GLISSANT Source ■ Édouard Glissant sur Terres de femmes▼ → Gabelles, V, VI, VII (poèmes extraits du Sel noir) ■ Voir aussi ▼ → le site du Centre international d'études Édouard Glissant |
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Ce poème-ci, je me le mets de côté, vraiment très, très beau, empli de symboles...une mer jalouse jusqu'aux arbres.....les orties de l'ignorance....tiens, un symboliste (!! ),
cette fin vertigineuse. Et la ponctuation, présente, mais particulière, qui ajoute un rythme qui me parle, personnellement.........merci encore pour cette découverte!
Rédigé par : Martine | 12 février 2011 à 23:05
Bien au-delà des thématiques – récurrentes chez Glissant, dans la mouvance d’un Césaire et d’un Senghor – cette écriture m’appelle avec puissance, celle éprouvée à la lecture de Saint-John Perse notamment. J’ignore si les deux auteurs ont déjà été rapprochés d’une façon ou d’une autre, je sens (mais ai-je raison ?) des veines proches. Il s’agirait maintenant d’approfondir la question ! L’éveil sert à cela aussi sur TDF : effet miroir qui ramène à son écriture propre, lieu du questionnement intime.
Voilà réveillées les marmottes un peu endormies du dimanche matin !
Le plus sérieusement du monde, merci pour ce bel hommage digne d’Édouard Glissant.
Rédigé par : M. MALREV | 13 février 2011 à 11:26
Dieu que c'est beau ! Merci infiniment pour ce partage !
Baci,
Valérie
Rédigé par : VB | 13 février 2011 à 13:10
Superbe, bouleversant - compréhensible ! Merci !
Rédigé par : D. Le Dantec | 14 février 2011 à 03:03
Lorsque Césaire est décédé, je lui écrivais en lui disant que je suis heureuse de me savoir appartenir à son siècle, et là, je redis la même chose à Glissant en lui rajoutant ma fierté de me savoir enfanter mon mot du sien qui ne mourra jamais.
La mort prend l'homme et non l'écrivain.
La mort pénètre la chair et non le mot.
Et qui s'accroche au mot , meurt peu ! Édouard Glissant semble le confirmer : "cet arbre sur la falaise (...) qui ne cesse de tomber", ne tombe !
Sisyphe roulant sans cesse son rocher ne meurt !
Qui ne cesse, ne cessera pas ! Continue !
La mer déchirée, déchaînée arrive jusqu'à lui mais ne l'atteint.
Combien beau, grandiose, serti des perles de l'immortalité, est ce mot du poète qui nous autorise de dire un "au revoir" au poète, mais qui nous défend de présenter des condoléances pour ceux qui ne meurent jamais dans leurs mots.
Rédigé par : Mahdia Benguesmia | 14 février 2011 à 04:02