Ralentie, on tâte le pouls des choses ; on y ronfle ; on a tout le temps ; tranquillement, toute la vie. On gobe les sons, on les gobe tranquillement, toute la vie. On vit dans son soulier. On y fait le ménage. On n’a plus besoin de se serrer. On a tout le temps. On déguste. On rit dans son poing. On ne croit plus qu’on sait. On n’a plus besoin de compter. On est heureuse en buvant ; on est heureuse en ne buvant pas. On fait la perle. On est, on a le temps. On est la ralentie. On est sortie des courants d’air. On a le sourire du sabot. On n’est plus fatiguée. On n’est plus touchée. On a des genoux au bout des pieds. On n’a plus honte sous la cloche. On a vendu ses monts. On a posé son œuf, on a posé ses nerfs. Quelqu’un dit. Quelqu’un n’est plus fatigué. Quelqu’un n’écoute plus. Quelqu’un n’a plus besoin d’aide. Quelqu’un n'est plus tendu. Quelqu’un n'attend plus. L’un crie. L’autre obstacle. Quelqu’un roule, dort, coud, est-ce toi Lorellou? Ne peut plus, n’a plus part à rien, quelqu’un. Quelque chose contraint quelqu’un. Soleil, ou lune, ou forêts, ou bien troupeaux, foules ou villes, quelqu’un n’aime pas ses compagnons de voyages. N’a pas choisi, ne reconnaît pas, ne goûte pas. Princesse de marée basse a rendu ses griffes ; n’a plus le courage de comprendre ; n'a plus le cœur à avoir raison. …Ne résiste plus. Les poutres tremblent et c’est vous. Le ciel est noir et c’est vous. Le verre casse et c’est vous. On a perdu le secret des hommes. Ils jouent la pièce « en étranger ». Un page dit « Beh » et un mouton lui présente un plateau. Fatigue ! Fatigue ! Froid partout ! Oh ! Fagots de mes douze ans, où crépitez-vous maintenant ? Henri Michaux, La Ralentie in Plume précédé de Lointain intérieur, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1998, pp. 573-574. |
HENRI MICHAUX Source ■ Henri Michaux sur Terres de femmes ▼ → 24 mai 1899 | Naissance de Henri Michaux → 28 décembre 1927 | Henri Michaux embarque pour l’Équateur → Mes Propriétés (extrait) → 3 juin 1937 | Première exposition Michaux (article sur la peinture de Henri Michaux) → 12 février 1965 | Rétrospective Henri Michaux → 19 octobre 1984 | Mort de Henri Michaux |
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Superbe poème d'Henri Michaux ! Sa découverte fut pour moi, jadis, la première grande révélation poétique.
Je regrette beaucoup de ne plus disposer de la lecture, sensible et forte, qu'en donnait Germaine Montero.
Rédigé par : Nadine M | 25 janvier 2011 à 03:23
J’adore ce texte de La Ralentie, un peu comme si j’avais oublié (ce que Michaux me rappelle) ce cadeau d’être traversée par les choses. Un bol vide, diraient les bouddhistes. Le verre, l’eau, l’aube, le jour, le soir, ne pas les attendre, s’y attendre peut-être, peut-être s’y attendre.
BB de Tobre
Rédigé par : BB de Tobre | 25 janvier 2011 à 09:12
Ce poème que je redécouvre grâce à vous est lié à mon adolescence. Découverte, identification, amitié : trois mots pour dire un texte qui a des échos infinis, c'est pauvre, bien sûr, mais le relire en silence est encore ce que je peux faire de mieux... Merci.
Rédigé par : Marlène laurens | 27 janvier 2011 à 17:27
En écho, même si cela ne relie pas les auteurs en question, avec Claude ROY, ce bout de texte devant moi, dans Sais-tu si nous sommes encore loin de la mer :
"Chez les vieux hommes l'épaississement des tuniques veineuses
obstruent lentement le passage du sang"
[...]
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre
dirai-je un soir j'espère sans trop rechigner ni
faire tant d'histoires
Mais en attendant c'est une bien intéressante
Histoire que font pensant leurs pensées ces roseaux
déducteurs-inducteurs.
Rédigé par : Mth Peyrin | 27 janvier 2011 à 22:26