Il y a cent neuf ans, le 7 janvier 1912, naissait à Livourne Giorgio Caproni. Image, G.AdC Traducteur de Baudelaire, Apollinaire, Proust, Céline, Frénaud et René Char, Giorgio Caproni, « poète du soleil, de la lumière et de la mer » (Carlo Bo), longtemps voué à la création solitaire qui le tient éloigné des grandes interrogations poétiques de son temps, occupe aujourd’hui une place centrale dans la poésie contemporaine italienne, dont il est assurément l’une des voix les plus originales et les plus puissantes après celle de Montale. L’originalité de la poésie de Caproni tient à l’équilibre savant que le poète établit entre les contraires. Attachée au monde sensible et à l’expérience personnelle, elle l’est aussi aux contrastes et aux contradictions apportés par l’alliance entre « hermétisme florentin » et registre quotidien, « cantabile » ; entre syntaxe recherchée et simplicité du vocabulaire. À la métrique traditionnelle maîtrisée avec art s’oppose une « limpidité cristalline » qui assure aux poèmes leur musicalité « vibrante ». La précarité de la vie, la solitude, les inéluctables et douloureuses séparations sont l’essentiel de la thématique du poète, fondée sur tout un jeu d’oxymores (la présence-absence, le voyage sans départ, l’identité du chasseur et de sa proie…) et d’apories. Auteur de nombreux recueils, Come un’allegoria (Comme une allégorie, 1936), Ballo a Fontanigorda ed altre poesie (Bal à Fontanigorda et autres poèmes, 1938), Il passaggio di Enea (Le Passage d’Enée, 1956), Il seme del piangere (La Semence des pleurs, 1959), Il muro della terra (Le Mur de la terre, 1975), Il franco cacciatore (Le Franc-tireur, 1982), Il conte di Kevenhüller (Le Comte de Kevenhüller, 1986), Res amissa (1991, posth.). Giorgio Caproni a aussi écrit des nouvelles, Il Labirinto, Il Gelo della mattina. Giorgio Caproni est mort à Rome le 22 janvier 1990. Ph., G.AdC L’ULTIMO BORGO (1976) S’erano fermati a un tavolo D’osteria. La strada Era stata lunga. I sassi. Le crepe dell’asfalto. I ponti Più d’una volta rotti O barcollanti. Avevano Le ossa a pezzi. E zitti Dalla partenza, cenavano A fronte bassa, ciascuno Avvolto nella nube vuota Dei suoi pensieri. Che dire. Avevano frugato fratte E sterpeti. Avevano Fermato gente — chiesto Agli abitanti. Ovunque Solo tracce elusive E vaghi indizi — ragguagli Reticenti o comunque Inattendibili. Ora Sapevano che quello era L’ultimo borgo. Un tratto Ancora, poi la frontiera E l’altra terra: i luoghi Non giurisdizionali. L’ora Era tra l’ultima rondine E la prima nottola. Un’ora Già umida d’erba e quasi (Se ne udiva la frana Giù nel vallone) d’acqua Diroccata e lontana. Giorgio Caproni, Conclusione quasi al limite della salita , in Il franco cacciatore (1973-1982), Tutte le Poesie, Garzanti, I grandi libri, Milano, 2016, pp. 455-456. Ph., G.AdC LE DERNIER BOURG Ils s’étaient arrêtés à une table D’auberge. La route Avait été longue. Les pierres. Les fissures de l’asphalte. Les ponts Plus d’une fois détruits Ou branlants. Ils avaient Les os brisés. Et muets Depuis le départ, ils dînaient La tête basse, chacun Enveloppé dans le nuage vide De ses pensées. Que dire. Ils avaient fouillé broussailles Et fourrés. Ils avaient Arrêté des gens — demandé Aux habitants. Partout Seulement des traces évasives Et de vagues indices — renseignements Réticents ou de toute façon Peu dignes de foi. Maintenant Ils savaient que c’était là Le dernier bourg. Un bout de chemin Encore, puis la frontière Et l’autre terre : les lieux Sans juridiction. C’était l’heure Entre la dernière hirondelle Et la première noctule. Une heure Déjà mouillée d’herbe Et (on entendait son écroulement En bas dans la gorge) d’eau Dans sa ruine lointaine. Giorgio Caproni, Poesie 1932-1986 in Anthologie bilingue de la poésie italienne, Bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard, 1994, pp. 1363-1365. Traduction de Philippe Renard et Bernard Simeone. Giorgio Caproni le 25 février 1986 à Marseille à l'occasion de la remise du Prix Jean-Malrieu pour la traduction du Mur de la terre Ph. Philippe Morier-Genoud Source |
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