Le 13 décembre 1991 meurt à Paris André Pieyre de Mandiargues. Tout au long de sa vie André Pieyre de Mandiargues a écrit des essais ou de petites représentations sur les artistes qu’il aimait ou qui ont croisé son chemin, sur les écrivains et les poètes de sa génération comme de temps plus anciens. Régulièrement il réunissait, sous le titre général de Belvédère, ses textes critiques épars en diverses publications, la plupart ayant paru à la N.R.F. grâce à Jean Paulhan qui les sollicitait. Trois volumes virent successivement le jour en 1958, 1962 et 1971, un quatrième peu après sa mort, en 1995. Ce dernier ne regroupa qu’une partie des textes disponibles ; d’autres, nullement inférieurs en qualité, furent écartés, à tort nous semble-t-il : ils témoignent de la grande curiosité de l’écrivain qui aimait rendre hommage aux plus grands de son temps comme aux moins connus. Dans le même esprit qu’en l’année 1967, où Fata Morgana publiait Critiquettes, l’Ultime belvédère accomplit, je l’espère, une dernière fois, le vœu de l’écrivain qui préfaçait ainsi son petit recueil de l’époque : « Les critiquettes sont aussi de petites actions de grâce, rendues à des manifestations ou à des apparitions gracieuses. Puissé-je avoir l’occasion et le bonheur de beaucoup de celles-là encore ! ». Sibylle Pieyre de Mandiargues, Avant-propos, in André Pieyre de Mandiargues, Ultime belvédère, Fata Morgana, 2002, page 7. Rien ne donne aussi faim que de nager masqué, pour aller, sous l’eau (point n’est besoin de descendre très bas, la lumière diminuant à mesure de la profondeur), observer les ravissants animaux que l’on retrouvera, plus tard, au marché, et dont Ninette Lyon nous dit s’il convient de les pocher, de les frire, de les rôtir, de les griller, ou de les mettre à sauter bien enfarinés au préalable… Quiconque a de cette façon vu les rougets barbets brouter la mousse d’un rocher avec des mines de chèvres au pacage sera pris pour eux d’un appétit presque charnel, qu’il ne sentira jamais pour les bêtes à viande et qui le fera consentir sans discussion aux prix assez excessifs que lui demanderont les poissonniers. Mais il saura que les barbets en vie, ou pêchés depuis peu, ont une couleur qui hésite entre le bronze et le vermeil, et il se méfiera, j’espère, de ces rougets trop rouges que l’on nomme rougets de Dakar et qui ont été placés sur la glace au large des côtes du Sénégal. Ninette Lyon sur tous ces points divulgue, informe et met en garde, et elle est savante en apprêts de la pêche comme un père sémite en péchés, comparaison qui va de soi, n’est-ce pas, puisque la différence ne tient qu’à l’accent aigu ou circonflexe… Plaisanterie, érotisme ou mystique mis à part, il faut être bien lourdaud pour n’avoir pas de goût pour le poisson. Quant à moi, je ne sais rien d’aussi joli ni d’aussi attirant, sur un plat, que les nourritures marines ou venues de l’eau douce. C’est un monde fantastique qui nous est présenté tout naturellement par les formes et les couleurs des poissons, des crustacés, des mollusques céphalopodes, gastéropodes ou pélécypodes, et les chefs-d’œuvre de la cuisine montée ou de la pâtisserie feront toujours piteuse figure à côté. Et puis, quel plaisir de mordre dans les bêtes qui semblent faites pour vous mordre. Jean Paulhan, qui avait vécu à Madagascar, affirmait que lorsqu’on voyait un requin en se baignant il fallait aboyer dans l’eau, car les requins, ajoutait-il, ont peur des chiens. Mais la plupart des sortes de requins se mangent agréablement, et j’ai mangé de trois ou quatre. Ainsi, me dirais-je dans la mer Rouge ou dans le Pacifique, c’est moi qui devrais leur faire peur puisque je suis mangeur de requins ; et si l’un d’eux, par ignorance, m’attrapait, j’aurais la consolation de penser que c’est moi qui ai commencé. Une raison de plus pour recommander l’ichtyophagie. André Pieyre de Mandiargues, Ultime belvédère, Fata Morgana, 2002 *, pp. 67-69. * Note d'AP : achevé d'imprimer du 13 décembre 2002, date anniversaire de la mort d'André Pieyre de Mandiargues. |
ANDRÉ PIEYRE DE MANDIARGUES Source ■ André Pieyre de Mandiargues sur Terres de femmes ▼ → 12 août 19... | André Pieyre de Mandiargues, Madeline aux vipères → 19 octobre 1977 | André Pieyre de Mandiargues | Bernard Noël → 18 mars 1978 | André Pieyre de Mandiargues, Crachefeu ■ Voir aussi ▼ → (sur le site de l'IMEC) la fiche André Pieyre de Mandiargues |
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Fin mangeur de poissons, André Pieyre de Mandiargues était aussi un fin dévoreur de livres et d'allures d'artistes et d'écrivains.
La beauté nous enseigne que ce qui est fin ici est fin là.
Cet homme de l'esthétique du bleu ― ici l'encre et l'ancre n'ont pas le complexe de la différence de leurs voyelles ― mérite bien d'être bercé sur cette terre de femmes où toutes les couleurs se valent.
Rédigé par : Mahdia Benguesmia | 14 décembre 2010 à 08:11