CORSICA LXVIII 2 octobre Athénée est un Grec du IIIe siècle apr. J.-C., originaire de Naukratis, dans le delta du Nil, et établi à Rome. Je trouve dans son œuvre principale, le Banquet des Sophistes (Deipnosophites, litt. « Convives qui conversent en dînant », de deipnon, dîner), de quoi me réjouir d'être en Corse. J'y lis, en effet, que « les habitants de Cyrnos [la Corse] vivent fort longtemps parce qu'ils ont usage du miel, qui est abondant chez eux » (Livre II, § 26). Il me restait à me procurer du miel de Corse. Mes amis Jean et Claudie D., venus à Aleria pour quelques jours, m'emmenèrent en montagne, à Quenza, d'où je revins nanti d'une douzaine de pots avec, pour chacun, les aiguilles de Bavella sur l'étiquette. Or, je m'étonnai que, parlant avec conviction des bienfaits du miel pour la santé, mon propos ne rencontre aucun écho. Du reste, Jean et Claudie n'avaient pas pris de miel pour eux. « Ne croyez-vous pas aux vertus du miel ? », leur demandai-je. Il s'avéra qu'ils n'y croyaient pas : ils n'en usaient pas et se portaient bien. Les Grecs, leur objectai-je, pensaient autrement. Les Pythagoriciens se nourrissaient principalement de pain et de miel, dit Aristoxène, et « ceux qui prenaient toujours ces aliments à déjeuner se maintenaient exempts de maladie » (Athénée, II, § 26). Démocrite, outre les figues, aimait beaucoup le miel. À la question qu'on lui posa : « Comment vivre en santé ? », il répondit : « En s'humectant l'intérieur de miel et l'extérieur d'huile » (ibid.). Et voici une légende. Ce même Démocrite, ayant atteint l'extrême vieillesse, résolut qu'il était temps de se retirer de la vie, et, à cette fin, retranchait chaque jour quelque chose de sa nourriture. Or, les journées des Thesmophories, fêtes avant tout réservées aux femmes mariées d'Athènes, étant arrivées — l'on était au moment des semailles d'hiver —, les femmes de sa maison prièrent Démocrite de ne pas mourir pendant la fête, afin qu'elles prissent part aux réjouissances. Il voulut bien vivre encore un peu. Il fit mettre près de lui un pot de miel, et, ne prenant rien d'autre que l'« émanation » (anaphora) du miel, survécut le nombre de jours nécessaires ; après quoi, l'on emporta le pot et il mourut. [...] Marcel Conche, Corsica, Journal étrange, V, Presses Universitaires de France, 2010, pp. 233-234. Note d'AP : ce journal de Marcel Conche couvre la période de juillet 2008 à mars 2009. Il est dédié à Natale Luciani, in ricordu di sdonde passate in Corsica, in segnu d'amicizia schjetta et en hommage au peuple corse. Source |
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