Dans la voix du poète, comme une peur de mourir de sécheresse. Et puis ce regard qui cherche à déserter ce qui l'envahit. La page encore trop habitée. Et lorsque la rage est d'être seulement une tendance qui fait fureur, ayant perdu son art de faire remuer et non salir les lèvres. Et lorsque les gestes d'offrir et d'accueillir sont totalement bannis. Davantage que lire un poème, lire un poète nous ouvre la plus libre des routes, malgré les enclos. Et ce que nous avons à craindre de cette ouverture véhémente : son souci de pacifier ou de rendre solidaire ce qui en nous demeure en proie à l'indéterminé, l'équivoque, le honteux, l'entortillé ; ce qui en nous est douceur et démesure, félicité et utilité, ratures et rictus. Ce que j'aime entendre d'un poème : des notes d'air et de basalte ; des désirs de disculpations, des virevoltes de danseurs ; des déserts de cailloux ; notes noires et blanches de nos joies. *** * Forcer la note fait mourir le poème, le fait mentir aussi, et finalement, me fait dire que le poème n'a jamais existé. Le parcours du poème n'est pas de se réduire à une secrète recherche d'harmonie, ni de consigner le malheur, ou de s'adonner à la fuite de ce qui nous désespère. En poésie, il y a ce mur couvert de lierre, ou cette branche esseulée qui porte encore le poids des fruits, ou cette rosée des yeux, ou cette blancheur incantatoire du chemin où nous marchons sans jamais cesser de nous retourner, ou ce parfum de fleurs balbutiantes, tout cela qui participe de notre présence au monde, parmi le clair et l'abrupt. Alors, pour quelle raison écrire, si ce n'est pour alléger la lumière, et que les mots s'effacent. *** * II Des chuchotis d'insectes le papier que tu froisses, le craquèlement de tes lèvres : ce que tu cherches à écrire, alors que tu ne sais encore rien du froid et de ses crimes. Un bruit d'abeille la mer et l'aube, écrire pour tout ce qui est terre, et fragile. Ainsi nos feuilles rugissantes dans les poussières sonores des cités, ou dans les arbres qui nous enseignent les branches et leurs coups d'archets. Et mes souvenirs blancs comme du jasmin. Nathalie Riera, « Carnet de campagne II ― La rosée sur les roses l’enfance » , Puisque beauté il y a, Éditions Lanskine, 2010, pp. 41-42, 44-46. Préface de Pascal Boulanger. « L’écriture de Nathalie Riera retient les sensations traversées afin qu’elles ne basculent pas dans l’indifférencié. Cette écriture, à travers proses ou vers amples, est simple et transparente. L’ordre et la simplicité ont toujours ouvert les routes du rêve (Ungaretti cité par Nathalie Riera). On sent qu’elle a besoin de l’écriture pour ne pas brûler dans la proximité des choses. Il se peut d’ailleurs qu’elle n’écrive pas mais dessine. Tant ses textes semblent suinter sur la page, dans cette eau fleurie des sentes. Tout se dérobe-t-il, désormais, à notre approche ? Mais les robes de l’enfance, à chaque fois retrouvées, sont toujours présentes. Ceux qui écrivent et tentent d’habiter poétiquement le monde le savent. Ne font-ils pas le don d’eux-mêmes qui fait écho au don de l’existence ? Nathalie Riera est dans la joie à être – tout simplement – seule ou avec l’aimé, avec une manière, une habilité, une fantaisie, une invention de vivre. Il n’est pas de poésie sans hauteur écrit-elle. Autrement dit, pas de poésie et de demeure sans ciel. » (Pascal Boulanger) |
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Émouvant, bouleversant et surtout infiniment humain, le métalangage nathalien est en soi une conquête d'esthète, une poésie d'infinitude, un monde extatique à contre-courant du monde délabré, dénaturé où les cerbères de toutes sortes, les minotaures de la dénaturation marginalisent la beauté naturelle et font oublier la déité vocationnelle de l'Homme né de Dieu...
Rédigé par : Camille Loty Malebranche | 18 septembre 2010 à 15:26
Je ne suis pas certaine que Nathalie Riera se revendique en tant que femme créature de Dieu. En revanche, sa poésie, qui est une poésie du bonheur vécu à travers l'acceptation de choses simples, est en effet à contre-courant de la laideur du monde et des horreurs qu'il nous inflige. Peut-être cherche-t-elle à les tenir à distance et à s'en défendre. En leur opposant la beauté du monde. Toute une philosophie mais surtout un art de vivre, d'écrire et d'aimer.
Rédigé par : Angele Paoli | 18 septembre 2010 à 23:02