éditions de la Maison chauffante, Besançon, 2009.
Lecture de Tristan Hordé
Source « L’OUBLIE S’ÉMIETTE... T’EN SOUVIENT-IL ? » Ce qu'on lit d'abord sur la couverture cartonnée, en fortes majuscules, c'est le titre, OUBLIE et, au-dessus de ce mot, deux strophes de longueur inégale reprises du premier poème et autrement découpées. La quatrième de couverture porte discrètement en haut le nom des auteurs, en bas entre crochets la définition de "oublie", cette pâtisserie très ancienne, « sorte de pâte déliée & légère qui se cuit entre deux fers » ; entre les deux, un poème non repris dans le corps du livre où l'on retrouve des mots de l'ensemble et qui donne la relation entre les dessins et collages de Véronique Dietrich et les poèmes de Jacques Moulin : on a joué au jeu du palet et de l'OUBLIE les images ont roulé les mots ont surgi [...] un livre est né Que donnent à voir ces dessins ? Un cercle, comme un cerceau ou un palet, où est insérée une image souvent très travaillée — chat, chimpanzé, lierre sur un tronc d'arbre, loup, chouette, poisson, nid tenu dans la main, visage masqué par une écorce, etc. Cercle vide aussi, ou empli de couleur, qui marque le caractère parfois peu figuratif des montages : ainsi, l'image d'une sainte est l'une de celles que l'on peut encore découvrir dans un vieux missel chez un bouquiniste. L'imaginaire du lecteur est sollicité, rapporté aux livres de l'enfance ou ayant toute latitude pour réinventer ce qu'il a oublié. Les poèmes sont des variations autour de ces montages, le premier les embrassant tous, évoquant les jeux d'autrefois liés au cercle ou à la sphère, le cerceau, la marelle, la neige dans la boule de verre, etc., et, remontant plus avant, les oublies transportées dans le coffin. Si le couffin (coffin est une forme ancienne) est toujours bien vivant, les oublies ne sont plus qu'un souvenir, comme le cerceau... Les oublieurs (quel joli nom de métier !) ont disparu au XVIIIe siècle1, « ô les bouches en allées par les rues pour crier leurs OUBLIES » ; ils ont été remplacés par les marchandes de plaisirs, du nouveau nom de ces pâtisseries en forme de cornet — « elle face au bois joue à la marchande de plaisirs ». À partir des montages de Véronique Dietrich, Jacques Moulin chemine dans l'enfance — dans toute enfance d'avant le règne des images —, avec par exemple une brève variation autour du chimpanzé qui a l'allant des chantefables de Desnos. Les souvenirs plus larges emportent « sur les grands quais d'oubli », bien au-delà du « comptoir de l'enfance », vers des visages perdus et retrouvés ; l'image du loup dans la forêt fait renaître le moment d'un poème le Père Soubise, dans la légende un des bâtisseurs du premier temple de Jérusalem que les compagnons charpentiers ont pris pour patron. Ce sont tous les jours anciens qui peuvent renaître quand on se prend à rêver devant les images et cette rêverie, si peu que ce soit, écarte le gris des jours : l'OUBLIE s'émiette ronds dans l'eau t'en souvient-il C'est aussi la forme de ces poèmes qui retient. Les vers de Jacques Moulin peuvent à leur tour susciter des montages — et de nouvelles rêveries du lecteur. Le vers libre, de facture très variée d'une page à l'autre, joue souvent discrètement avec la tradition métrique. Ici, on reconnaît deux alexandrins avec rime interne : c'est le jeu du tonneau qui roule son image c'est le chant de l'oiseau qui tisse son ramage ; là, une rime court dans la strophe, passant de l'intérieur à la fin du vers (clairière / sorcières /terre / enfer ) ; etc. On repèrera les nombreux jeux d'échos, manière de ne pas oublier que certaines marques de la poésie d'hier sont toujours bien vivantes — mais certains mots nous reportent à des usages un peu éloignés de nous (coffin, gavot, frimas). On ne regarde plus les nids dans les haies, pas plus qu'on n'écoute la chouette hulotte au début de la nuit... Qu'un livre donne à rêver autour de ce que notre présent a abandonné est un petit bonheur à ne pas négliger. Qu'il joue sur l'homonymie entre oublie (forme moderne de l'ancien français oblee — qui désigna d'abord une hostie, une oblata, une offrande) et oubli (de oublier, d’un verbe latin de même sens) ajoute au plaisir. Tristan Hordé D.R. Texte Tristan Hordé pour Terres de femmes 1. On lira l'histoire des oublies dans Jean Massin, Les Cris de la ville, Commerces ambulants et petits métiers de la rue, Gallimard, 1978, pp. 36 et 38. |
JACQUES MOULIN Source ■ Jacques Moulin sur Terres de femmes ▼ → Écrire à vue (lecture d’AP) → [Partir à dos de feuilles ou d’arbres] (extrait d’Écrire à vue) → D 27 et D 28 (extrait de L’Épine blanche) → Journal de Campagne (lecture d'AP) → Portique (lecture d'AP) → Portique 2 (extrait de Portique) → [Sur le halage certains soirs] (extrait d’À vol d’oiseaux) → Un galet dans la bouche (extrait) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la Littérature) une fiche bio-bibliographique sur Jacques Moulin |
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Je voudrais dire, en tant qu'auteur, combien je suis touché par la belle et fine critique de Tristan Hordé : propos, mise en page, mise en musique, choix des extraits.
Une oublie dans un cerceau de mots justes et chaleureux...
A Tristan Hordé un très grand merci ; ma gratitude aussi à la revue Terres de femmes.
Bien à vous tous.
Jacques Moulin
Rédigé par : Jacques Moulin | 20 septembre 2010 à 14:09
La lecture de cet article me fait souvenir du très beau livre de Sophie Nauleau intitulé La Main d'oublies et donne envie de découvrir celui de Jacques Moulin.
Rédigé par : Christine Ottenwelter | 20 septembre 2010 à 21:36