AOÛT
Deux vents se croisent dans les hauteurs, à des étages différents du ciel. Annonce d'un probable désordre... Il faut aux choses une même direction.
J'aimerais dire... Je ne sais quoi. Dire ce
« je ne sais quoi », justement.
Dire une absence de contenu. Dire pour dire. Nous disons toujours quelque chose.
La manière mystique, quand elle s'applique à la vie ordinaire, autant la touche... Magiquement la touche.
Je ne regretterai le monde que pour ce que j'en aurai dit
― et mourrai finalement sans regrets, car c'est dit.
Sous la lune, pas un souffle apparemment, mais tout l'érable par instant frémit.
Rien n'égalera jamais ce bruissement à peine qui est moins de l'arbre en ses feuilles que de l'inquiète nuit.
Énorme, virginale fleur de bégonia blanc.
Le blanc est virginal, ou est-ce le virginal qui est blanc ?
Moments d'engourdissement, de paresse, de pensée...
Comme Dieu, la grande poésie échappe à l'
être, n'a pas commerce avec lui.
Le faire nous apaise. La portée de l'action est d'abord là, si même elle n'est pas, finalement, que là.
Par sa douceur, son écart, son rêve obstiné, la femme est une enfance qui n'en finit pas.
La jeunesse, dans un visage, c'est le pur élan des traits. La chair, alors, épouse souplement le masque et le couvre.
Quand l'âge vient, elle s'affaisse et le montre.
Parfois le monde est si beau qu'il empêche qu'on le contemple.
Je cherche l'extase dans le monde. Non la mienne : l'extase du monde.
Roger Munier, Les Eaux profondes, Arfuyen, 2007, pp. 144-145.
NOTE D'AP : Roger Munier est mort à Vesoul le 10 août 2010. Son dernier ouvrage, L’Aube, a paru en juin 2010 aux éditions Rehauts.
On a le temps avec les morts. Ils ont l'éternité devant eux. C'est bien que vous ayez laissé passer le jour de sa mort, où beaucoup ont écrit un billet de salutation souvent ému. Maintenant nous sommes au calme, avec lui, comme avant, dans l'essentiel pour le rejoindre : son écriture.
Drôle de taiseux, tellement attentif aux choses, au silence de l'avant des mots, tellement patient aussi. Il les attendait ces mots qui allaient venir en lui dans cet entre-deux où il ne savait plus qui avait fait le premier pas de la chose ou de lui.
Ainsi dans ce livre, à lire si lentement La Dimension d'inconnu (José Corti) - livre qu'il faut ouvrir patiemment avec une lame - il y a un chapitre "Ecriture" qui commence page 29. C'est une conférence prononcée en juin 1990 au Collège International de Philosophie. (Séminaire sur le thème "L'écriture. L'exigence d'écrire".)
Bien sûr, je ne vais pas copier ces pages en entier mais quelques phrases en écho à celles que vous avez cueillies, si judicieusement, dans Les Eaux profondes.
Voilà, c'est là :
"...Ma seule ambition est de dire, et je vais tenter de définir comment je l'entends...
Ce qui est à-dire n'est pas là. Ne sera là qu'une fois dit...
Je prendrai un exemple, tiré du quotidien. Le vent d'automne fait grincer sur ses gonds un volet mal fixé, dans la maison. Ce bruit est bruit pour tout le monde. Il m'atteint. D'abord faiblement, puis avec plus d'insistance. Il m'atteint comme bruit et déjà comme idée. Bruit-idée : idée prise dans le réel, coulée en lui, liée à lui au point d'en être encore indissociable. Je note ceci : "Bruit d'un volet poussé sur ses gonds par le vent. Bruit grave, lent, bruit de l'âme, mais qui retentit dans le corps. Profond message". "Profond message..." : c'est le départ du déchiffrement de l'appel. Le départ du poème, s'il a lieu. Mais pour l'instant je m'en tiens là, ne voulant que reconnaître l'appel. Je sens bien que j'y reviendrai, car l'appel me poursuit. A chaque fois que le bruit reprend, je ressens la même sollicitation inexpliquée à le dire selon l'effet qu'il produit en moi, selon ce qu'il est pour moi et finalement sous cet angle, selon ce qu'il est. La pression demeure de ce qui reste, comme bruit profond et grave, un à-dire et tient sa force de l'"à dire", avant tout dire. Dans son avant de tout dire...."
Quelle générosité dans cette tentative de nous dire ce "je ne sais quoi" qui précède l'écriture...
Rédigé par : christiane | 26 août 2010 à 12:02
Oui, je reviens. Oiseau de passage pour dire que j'aime passer ici, qu'il y fait toujours bon.
Pour dire qu'on y rencontre la poésie, trois fois rien et de belles âmes.
Pour dire avec R. Munier que "le monde est le voile éclatant d'une splendeur qui se dérobe".
Amitiés à vous deux et aussi bonjour à vous Christiane
Sylvie Saliceti
Rédigé par : Syl Saliceti | 27 août 2010 à 15:56