Chroniques de femmes - EDITO/SOMMAIRE
« LE RAVIN N’EST-IL QUE LA NOSTALGIE DE LA MONTAGNE ? »
Lecture de Christiane Parrat
Qu'écrit-on quand on a perdu un être proche ? Comment vit-on, survit-on ? Il en est des brisures de l'amour comme de la mort. L'écriture fouaille alors dans les racines invisibles de ce qui reste. Exil à l'intérieur de soi-même pour y tresser l'ode à l'absente, sans savoir qui est la plus absente à soi de celle qui reste ou de celle qui est partie.
« Où est son bien ? Elle le cherche. Il la fuit. Sa nature même lui échappe. Elle s'agrippe aux bouquets d'euphorbes, au chant solitaire d'un oiseau qui appelle sa compagne lointaine. »
Carnets de Marche... La marche est difficile et courageuse qui va à l'écriture... la lecture en est bouleversante. J'ai traversé ce jour dans la douceur de ce beau livre écrit par Angèle Paoli et édité à Béziers, aux toutes jeunes et talentueuses éditions du Petit Pois… Soixante-et-un fragments de ces carnets ont été choisis par Véronique et David Zorzi pour nous faire entrer dans quelques saisons de la vie d'une femme, confrontée à la fracture amoureuse… Cent-vingt-deux pages d'une écriture limpide, d'une absolue fluidité, nous mènent de la plénitude de la souffrance au vertige du vide laissé par la faille.
En exergue, cette pensée d'Hélène Sanguinetti : « Le ravin n'est-il que la nostalgie de la montagne ? » Ainsi va s'ouvrir un des plus beaux textes d'Angèle Paoli. Sans pathos, dans une écriture proche de l'intime, qui ne cache rien tout en gardant le mystère d'une insolente pudeur, elle nous conduit dans l'univers secret de ses marches, nous donne accès à cette déchirure, se centrant peu à peu sur le chemin intérieur qui va transformer ces marches en « marches à gravir ». Un texte qui se lit lentement, parce qu'il a la grâce. Une traversée solitaire douce et attentive de ces chemins de l'île où s'échange la douleur contre la force de la nature offerte. La terre devient alors écrin de la solitude, attente, miroir d'angoisse, creux et pierres où poser sa supplication, murmure traversant saisons et paysages. Émerveillement sacré réveillant les mythes qui viennent du fond des temps, paganisme antique des grigris, des sortilèges. Mais aussi bain de lumière, de rumeurs, accordant la houle de la mer omniprésente à celle de l'encre. Le regard de la poète fouille le maquis pour retrouver la vie, celle des bêtes, des plantes, des hommes et des femmes de l'île.
« Le vent souffle par grandes rafales. Le maquis ploie sous les à-coups imprévus du libecciu. »
Carnets de Marche est un livre incandescent, flamboyant, d'une nudité intense et d'une grande finesse psychologique. Tout de l'âme de la marcheuse y est interrogé.
« Résister à la tentation de la voix. Me retirer sans faire de bruit. Vivre mes souffrances et mes deuils dans ma seule chair, mes sanglots dans ma seule voix. »
Les voix multiples de la narratrice balisent cet itinéraire spirituel né du décalage existentiel entre habiter, vivre là et être ailleurs... « Solitude des seuils »... matière de songes mêlant fantasmes et réalité. C'est d’une écriture porteuse du temps qu’elle a besoin pour cicatriser, un temps analgésique. De page en page, elle nous mène sur son chemin de renoncement qui ouvre à la beauté du monde, éprouve, se découvre...
« ...reconstruire l'ordre immuable des choses réapprendre le silence les gestes de l'oubli les paroles apaisées allégées du trop-plein des mots ranger l'autre qu'on a aimée la coucher la plier sans faux plis aux côtés de ceux qui ont déjà une place dans ton cimetière intérieur... »
Quête de l'indicible. Ce livre ennoblit tant il est pur, tout en nuances. Une écriture de violoncelle. Silence de l'être qui effleure les mots ou les pétrit d'une sensualité toute méditerranéenne, ou d'un érotisme radieux quand l'écriture s'attarde dans les clairières amoureuses de la mémoire. Autopsie d'une âme, d'un amour, d'un rêve... qui s'effiloche en ces derniers mots comme une laine de mouton sur un cœur barbelé, celui de l'absente au loin allée... :
« Mon chagrin mon chagrin m'a fui cette nuit s'en est parti ai entendu senti compris que mon chagrin était enfui Lundi mardi vendredi mon chagrin s'en est parti parti au-delà des jours et des nuits uits uits. »
Christiane Parrat
D.R. Texte Christiane Parrat
pour Terres de femmes *
* Recension publiée dans la revue Le Quai des Lettres, La Rochelle, septembre 2010, n° 22/23. |
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A quoi je suis sensible en te lisant chère Angèle dans ces carnets, je pourrais le décrire longuement et à bien des niveaux plus ou moins partageables ici. Mais je ferai sans doute à mon tour le bel effort public de redécouverte que nous offre si délicatement Christiane Parrat. C'est avec une grande douceur qu'il nous faut accueillir ces pages et ne pas hésiter non plus à les transporter un peu plus loin, comme ces fagots de bois de cheminée que tu as rapportés si souvent depuis le giron des asphodèles jusqu'à ta maison peu à peu repeuplée. Le texte va prendre le maquis à présent et toi un peu de distance. Merci aux éditeurs ! Le petit pois est resté longtemps douloureux sous l'épaisseur des mots-matelas amoncelés pour le moudre, le dissoudre, l'oublier... « C'est écrit ! », constaterait Marguerite Duras ou une autre dans un soupir rieur. C'est en citant Heather Dohollau dans le recueil La Réponse (Editions Folle Avoine,1982, page 13) que je te signifie ceci, en le proposant également à tous ceux qui se réjouissent autour de toi :
« Sans une volonté de parole, le jour sombre, la parole elle-même ne sauvera qu'une partie presque méconnaissable. Mais pour celui (celle) qui écrit, les mots comme des moutons portent les feux du matin sur leur laine humide, entre les lignes se cache un paysage ».
Paysage intime infiltrant les formes rêvantes de sentiers parfumés, indomptables, jusqu'à ces jours défunts littérairement immolés. Cendres fertilisantes... Le chagrin s'éloigne du seuil aujourd'hui pacifié.
Rédigé par : Mth Peyrin | 03 août 2010 à 22:26
« Je conclurai en disant qu’au fond j’écris des histoires pour unifier, pour ne pas rester témoin de la perte, pour donner et recevoir, pour savoir dire : j’aime. Car la vie va bien au-delà de notre propre vie, elle rencontre toujours l’autre, les histoires qu’on écrit ou qu’on écoute nous l’apprennent. »
©Sylvie Fabre G.
Je passe souvent ici, je lis vos choix de poèmes, les notes de lecture, me ressource dans la musicalité de l'écriture, mais aussi dans ce qu'elle ne dit pas et laisse à la marge. Ce qui me semble à moi le propre d'un poème c'est d'être toujours non-dit , laissant à chaque lecteur le choix pur de l' émotion.
Je ne sais pas écrire, mais ma découverte de la poésie via les sites internet + la lecture de recueils aura été un éblouissement, vraiment ! Un peu comme toucher du doigt un monde inespéré, beau et tragique à la fois. Je passe donc souvent, silencieuse, et je lis et j'écoute les voix qui se libèrent ici, sans me lasser, jamais !
Merci Angèle Paoli, il me tarde d'entrer plus avant dans vos Carnets de marche.
Rédigé par : Marline Laurant | 04 août 2010 à 07:48
"Je ne sais pas écrire..." nous confie Marline Laurant. Mais bien sûr que si vous savez... chaque mot que vous glissez vous... moi... et d'autres... ici ou ailleurs... ont une musicalité qui leur est propre et qui effleure... caresse... ou bouscule... nos rêves et nos certitudes..Il est vrai que le texte de Christiane Parrat sur Carnets de Marche nous invite... tant il est séduisant... à se poser sur les marches et les saisons d'Angèle Paoli... Il y a ainsi des notes qui vous frappent en plein coeur... et vous donne cette furieuse envie de découvrir... "les formes rêvantes de sentiers parfumés"..
Je ne sais pas écrire moi non plus... sourire... mais peu m'importe... Je pose mes mots comme on déposerait un baiser sur une lettre attendue... un éclat de tendresse... un regard dérobé.Et je savoure ce qui m'est ici offert...
Rédigé par : pierre.b | 05 août 2010 à 19:07
Oui, Pierre. Martine, Angèle et ceux qui se promènent ainsi dans la poésie des jours de marche et de guets, et puis offrons aussi des lettres à des baisers attendus... ad libitum...
Rédigé par : Mth Peyrin | 06 août 2010 à 12:25