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Salvatore Quasimodo est, avec
Giuseppe Ungaretti,
Eugenio Montale,
Mario Luzi et
Umberto Saba, un des représentants majeurs de la
poésie italienne du XXe siècle. Et l’un des chefs de file de l’hermétisme, poésie « pure » (dans l’acception mallarméenne du terme) définie comme « revanche de la parole sur l’action ».
Renato Birolli (1905-1959)
Portrait de Salvatore Quasimodo, 1942
Huile sur toile, 160 x 60 cm
Narodna Galerija (National Gallery),
Ljubljana, Slovénie
Source
Issu d’un milieu très modeste, contraint très jeune de gagner sa vie pour aider les siens à surmonter la pauvreté (une pauvreté amplifiée par le tremblement de terre et le raz-de-marée survenus à Messine le 28 décembre 1908), Salvatore Quasimodo ne se détourne nullement de la vocation poétique précoce qui le pousse à entreprendre, seul, l’étude des lyriques grecs. Une passion abondamment nourrie par l’immersion dans les grands mythes ancestraux et le monde hellénique dont est imprégnée l’antique Trinacria.
Aimanté par cette double postulation poésie/mythes, Salvatore Quasimodo peaufine ses études humanistes. En 1928, à Florence, il est introduit par son beau-frère, Elio Vittorini, dans le cénacle de la jeune revue d’avant-garde
Solaria, où paraissent, en 1930, trois de ses poèmes, puis, aux éditions de la même revue, son premier recueil :
Acque e terre. Cette publication est bientôt suivie de celle de
Òboe sommerso (rivista
Circoli, 1932),et d’
Erato e Apòllion (1936) (recueils qui seront tous trois rassemblés dans
Ed è subito sera, Mondadori, collection Lo specchio, 1942*). En 1938, Salvatore Quasimodo fait ses premiers pas dans l’édition comme secrétaire de Cesare Zavattini, qui l’introduit peu après au sein de la rédaction de l’hebdomadaire
Tempo. En 1942 paraît
Odore di eucaliptus ed altri versi (1942).
Parallèlement à sa production poétique, Quasimodo travaille à la traduction des poètes grecs et latins (
Lirici greci, ouvrage consacré à Eschyle, Sophocle, Homère mais aussi Catulle, Ovide, Virgile [1940], est reconnu comme son chef-d’œuvre) et, en 1941, il est nommé,
« per chiara fama », professeur de littérature italienne au Conservatorio Giuseppe Verdi de Milan.
Après-guerre, il abandonne l’expérience hermétique pour une poésie plus engagée qui se fait de plus en plus élégiaque :
Giorno dopo giorno (1947),
La vita non è sogno (1949),
Il Falso e Vero Verde (1953) [la traduction française de ces trois recueils a paru sous le titre
Ouvrier des songes, Librairie La Nerthe, 2008],
La Terra impareggiabile (1958) et
Dare e avere (1966).
En octobre 1959, Salvatore Quasimodo est lauréat du Prix Nobel de Littérature. Il meurt à l’hôpital de Naples le
14 juin 1968 des suites d’un accident vasculaire cérébral survenu à Amalfi.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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Traduction française : Et soudain c’est le soir, édition bilingue, Librairie Élisabeth Brunet, 70 rue Canterie, 76000 Rouen, 2005. Traduit de l’italien par Patrick Reumaux.
ALLE FRONDE DEI SALICI
Alle fronde dei salici (Aux branches des saules) fait partie du recueil
Giorno dopo giorno (1947). Dans les complaintes sourdes qui émaillent ce recueil, le poète dénonce les atrocités infligées à son pays par l’occupant allemand. Le poème hendécasyllabique,
Aux branches des saules, est caractéristique de l’écriture d’une époque. Réalisme et symbolisme s’y mêlent, loin de l’hermétisme de certaines de ses œuvres antérieures. Le poète tente d’exprimer l’inexprimable. Restent l’émotion intacte et l’expression d’une douloureuse solidarité qui rejoignent l’universel. Une dimension du mythe que l’on retrouve dans le célèbre ouvrage de son beau-frère, Elio Vittorini :
Conversation en Sicile.
E come potevamo noi cantare
Con il piede straniero sopra il cuore,
Fra i morti abbandonati nelle piazze
Sull’erba dura di ghiaccio, al lamento
D’agnello dei fanciulli, all’urlo nero
Della madre che andava incontro al figlio
Crocifisso sul palo del telegrafo?
Alle fronde dei salici, per voto,
Anche le nostre cetre erano appese,
Oscillavano lievi al triste vento.
AUX BRANCHES DES SAULES
Et comment pouvions-nous chanter
Le pied de l’étranger sur le cœur,
Parmi les morts abandonnés sur les places,
Sur l’herbe durcie par le gel, aux plaintes
D’agneau des enfants, au hurlement noir
De la mère avançant vers son fils
Crucifié sur un poteau télégraphique ?
Aux branches des saules, par vœu,
Nos cithares aussi étaient pendues,
Légères oscillaient au triste vent.
Salvatore Quasimodo, « Aux branches des saules », Giorno dopo giorno in Anthologie de la poésie italienne, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, pp. 1348-1349.
AUX BRANCHES DES SAULES
Et comment pouvions-nous chanter
avec le pied de l’étranger sur le cœur,
parmi les morts abandonnés sur les places
et l’herbe durcie par la glace, avec la plainte
d’agneau des enfants, avec le hurlement noir
de la mère avançant vers son fils
crucifié sur le poteau télégraphique ?
Aux branches des saules, offrandes votives,
nos cithares aussi étaient suspendues,
doucement balancées par le triste vent.
Salvatore Quasimodo, « Aux branches des saules », Jour après jour in Ouvrier des songes, Librairie La Nerthe, 2008, page 15. Traduction de Thierry Gillybœuf.
un texte magnifique qui ne semble, miraculeusement, trouver son point d'équilibre qu'en frôlant sans cesse la chute… Sombre et tonique, amer et dynamique : ce ne sont là que quelques-uns des paradoxes conciliés par la grâce d'une écriture au lyrisme sans cesse maîtrisé.
Rédigé par : Pascal Perrot | 05 septembre 2010 à 19:25