La Compagnie des Argonautes, 2010.
Lecture de Tristan Hordé
Ph., G.AdC QU'ILS SOIENT AIGLES OU MOINEAUX... À la fin de son introduction à L'Oiseau (1856), Michelet affirmait : « Tant qu'il y aura une France, son alouette et son rouge-gorge, son bouvreuil, son hirondelle seront insatiablement lus, relus, redits » (p. XLIII). Il faut se réjouir de cette nouvelle lecture dans la 6e livraison de Thauma. À quelques exceptions près, l'ensemble est constitué de poèmes, accompagnés de nombreuses encres d'Isabelle Raviolo ; responsable de la revue, elle a retenu voix vives et voix d'hier sans se limiter à la France, en mêlant les contributions, du Japon à la Croatie, du Paraguay à la Russie, le plus souvent en présentant aussi la version originale vis-à-vis de la traduction. Il ne faut pas chercher d'unité dans cette brassée de poèmes mais plutôt la diversité des symboles, parfois contradictoires, liés à l'oiseau. Qu'il soit aigle ou moineau, c'est l'image de l'envol, de la légèreté qu'évoque d'abord l'oiseau, en relation explicite ou non à l'homme attaché au sol : « Oiseau, si tu voles, je rampe », écrit Bertrand Goyet. La symbolique concerne n'importe quel oiseau qui « fond [...] dans le bleu du ciel » (Jean-Pierre Chambon) : « Celui qui à son ombre a mélangé l'oiseau S'en est allé dans la lumière de l'esprit » (Salah Stétié) Le mouvement vers le haut est associé à l'accès possible au ciel. Le glissement de l'esprit au sacré est vite opéré et, par exemple, la colombe est aussi bien la représentation de l'esprit saint que de la pureté liée au divin ; on se souvient que, dans la Cantilène de sainte Eulalie (878), la jeune fille, après son martyre, devient une colombe (« [...] sous la forme d'une colombe elle monta au ciel »). L'aspiration à quitter le sol fait souligner une proximité de l'oiseau et de la figure religieuse de l'ange : « J'aurais voulu m'envoler dans l'éther / Tenir autant que toi de l'ange » (B. Goyet). Intermédiaire entre les hommes et Dieu, les dieux, l'oiseau, et la colombe par excellence, est l'image de la paix : « Savais-tu bien que la paix / est cet oiseau d'air blanc sur ton épaule ? » (Gabrielle Althen). La colombe n'est pas la seule à qui est accordé un rôle particulier. Si le coucou est généralement perçu comme le messager du printemps, dans plusieurs traditions, on pense que le nombre de ses cris donne celui des années qui nous restent à vivre — ce dont se souvenait Anna Akhmatova : « J'ai demandé au coucou / Combien d'années je dois vivre ». Quant au merle, il est pour beaucoup l'image même de l'harmonie dans la nature, comme le rappelle Pierre Dhainaut : Accord du soir et du matin dans l'espace des arbres, jamais on ne cherche à le voir le merle qui chante. Mais, à nouveau, on ne distingue plus entre les espèces quand on oppose leur insouciance (« Ô entre /les bienheureux, heureux ! », Umberto Saba) à la mélancolie humaine ; ils semblent, toujours dans le chant, sans attache, être à la fois le symbole de la liberté (« Nous courions, enfants des libertés d'oiseaux », Béatrice Douvre) et de l'épanouissement (« Ces oiseaux volent dans leur joie », Kathleen Raine). Cependant, le vol des migrateurs vers des lointains, l'impression que disparaissant de la vue ils ne reviendront plus, ont construit de l'oiseau une image négative. Messager du ciel, oui, mais aussi de la mort. Cette fonction est surtout assurée, en Occident, par tout oiseau noir — parfois symboliquement opposé à la couleur blanche (« Et tu as traversé la mort / comme en la neige l'oiseau / toujours noir scellant l'issue », Nelly Sachs) — , mais elle ne lui est pas réservée, et l'oiseau le plus commun peut être associé à la disparition : le passereau « tourne autour de la table des morts » écrit Béatrice Bonhomme, qui lie avec l'oiseau Éros et Thanatos : « Il passe oiseau éphémère comme la précarité de l'amour ». On n'en finit pas d'explorer une symbolique si complexe qu'elle n'a cessé d'inspirer écrivains, peintres et musiciens. La variété des chants, justement, a fasciné un Messiaen qui les a notés ; elle a également suscité des tentatives de les transcrire verbalement. On connaît les Litanies des oiseaux de Pichette [1] et, aujourd'hui, les jeux jubilatoires de Jacques Demarcq autour de ces chants [2] ; il est présent ici avec un poème à propos d'une espèce éteinte, le huia : « L'oiseau s'envole huhurlant ffoudouhouille ah ». Les essais de « traduction », si heureux soient-ils, laissent toujours échapper ce qui peut-être importe : inlassables les mélodies comment mettre sous syllabes en couleurs en notes en mots les sons échappent dérobent leur sens aux sentiments inépuisables pépites d'or (Angèle Paoli) Tout aussi indéchiffrables paraissent le mouvement des groupes d'oiseaux, « Criblant le grand ciel de l'été / D'une écriture on ne sait quelle » (Maximine). Qui a observé le rassemblement de migrateurs quelques jours avant le départ, a rêvé de lire les figures régulières indéfiniment répétées avec quelques variantes, comme s'il s'agissait d'inscrire un repère dans les airs. On peut imaginer ici que des « voyelles lumineuses s'élèvent comme des ballons » (Sylvia Plath), et là que « treize colombes écrivent / dans le ciel un mot » (Christine Lavant). C'est cette relation particulière entre le vol et l'écriture que donnent à voir les encres d'Isabelle Raviolo, et qu'analyse Aurélie Loiseleur : « On croirait de loin des lettres. D'abord on découvre ces arabesques étranges d'un alphabet qui n'existe pas, mais qui signifie par lui-même et d'encre en encre ». Les hommes ont prêté à la gent ailée mille caractères dans les contes dont on a aujourd'hui un impressionnant corpus [3]. Cette veine orale s'est tarie alors que la poésie n'a pas cessé d'explorer la symbolique de l'oiseau ; le lecteur en a un bel exemple dans cette livraison de Thauma, dont on a donné une vue incomplète du riche sommaire. Il faut souhaiter une large diffusion à cette excellente revue animée depuis son premier numéro par Isabelle Raviolo [4]. Tristan Hordé D.R. Texte Tristan Hordé pour Terres de femmes 1. Henri Pichette, Litanies des oiseaux, in Cahier Henri Pichette 2, « Les enfances », 1995. 2. On lira, paru récemment, « Exquis disent », in Nervaliennes, José Corti, 2010. 3. Fabienne Raphoz en a recueilli et annoté un grand nombre dans L’Aile bleue des contes : « l’oiseau », José Corti, 2009. 4. Pour joindre Thαumα : Isabelle Raviolo, Revue Thαumα, 28, rue de Beaubourg, 75003 PARIS (ysacoromines[@]yahoo.fr). |
■ Voir aussi ▼ → le site de la revue de poésie et de philosophie τhαumα, animée par Isabelle Raviolo → (sur Terres de femmes) Isabelle Raviolo, Les Bruits dans l’eau → (sur Terres de femmes) Isabelle Raviolo, Soleils noirs → (dans l'anthologie poétique de Terres de femmes) Isabelle Raviolo, Ô mère → (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes) le Portrait d'Isabelle Raviolo → (sur Terres de femmes) Judith Chavanne/Une goutte de vie |
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Un oiseau c'est aussi un glissement sur un toit... des couleurs d'étonnement... un creux d'eau dans une gouttière... un ballet découvert... C'est une vie dans les airs... et nos rêves à tire-d'ailes... quelques lettres emportées... dans un ciel retrouvé... Je ne connais pas le nom des oiseaux... ils sont tous pour moi... passereaux... l'évasion partagée... coeurs à fleur de peau... fragilité assurée.
Rédigé par : pierre.b | 07 juillet 2010 à 08:22
Hindi Zahra : une femme oiseau-artiste qui devrait plaire à Isabelle Raviolo!
http://www.hindi-zahra.com
Amicizia
Guidu
Rédigé par : G.AdC | 07 juillet 2010 à 13:37