Ph., G.AdC MANÈGE La toile d'araignée des mots saisit les choses : barques amarrées, lueurs dociles, roseaux, reflets, crues, ormes, lierres, rubans, coulées, ténèbres, ponts de lune sous les hautes fenêtres... Pas de surface, pas d'arrière-plan ni d'ombre, de porte par où entrer, de poignée à saisir, de paume où se lover, appauvris du temps qui nous dépouille tous car nous vivons, ni aimants, ni gravés dans l'argile, tout étant tel qu'il fut : philtres, archipels, sextants, trous noirs, limailles, nerfs, cendres d'empire, dagues des seigneurs, atours des dames... N'interroge plus ces signes qui t'interrogent, l'enfant qui guette ta mort parce qu'il croit qu'elle lui montrera l'arrière-cour, l'autre face, parce que tu cherches dans ce qu'il fut l'instant vierge qui t'avouera comment fixer la Chienne en face... Disperse tes escouades, brise tes remous, enroule tes alambics et tes fusées, fuis ces alliages, ces départs, ces désirs de crues et de feux, d'impénétrables cales... Contraires s'enlaçant, s'accouplant : pas d'avant ni d'après, plus d'Histoire ni de durée, tout coïncidant, se conjuguant à l'heure d'interroger ce domaine qui à ce jour n'a plus de nom... Passe sans être déchiffré. Ne leur livre que l'autre face, limes et failles, sommes de qui tu fus, réfutations... Contrains-les à marcher sur ce fil chaque fois plus mince, crevant jusqu'au silence où tu te caches si bien, et le dénudes... Ce paysage de nuit ne suffit pas, nous le savons, puisqu'il te faudra t'en saisir pour lui ôter ses faux attraits, ses leurres, révélations... La terre et l'homme ne sont plus sacrés, et tu n'as rien à leur offrir : ni jeu de figures, ni matière libérée, ni lumière, ni losange, ni profanation. Pas même l'attente... Puis tout s'effacera : la maison aux bougainvillées, la nage, les bracelets, les glaces, les coquillages, les poulpes, les galions, les ogres, les rocs, les frôlements, les seuils, les absences... Une seule fois l'inconnu, l'inguérissable et le chant, une seule fois le TOUT dans la balance contre l'hérédité et les poisons, une seule fois des routes à venir les lents rodages... C'est l'heure : déchire tes pourpoints, couve tes salamandres, tes vaines orties, sache pressentir pourquoi il n'y a pas assez de mots et, qui sait, trop de choses, apprends à choisir, parmi tes départs, le plus sournois, fausser leurs démarches, corrompre la main des bâtisseurs, les couvrir de dunes et de failles... Ton règne sera bref. Mais il n'en est pas de même du désert que l'on imagine. André Rougier D.R. Texte André Rougier |
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