Extraño la Cruz del Sur
cuando la sed me hace alzar la cabeza
para beber tu vino negro medianoche.
Y extraño las esquinas con almacenes
dormilones
donde el perfume de la yerba tiembla
en la piel del aire.
Comprender que eso está siempre allá
como un bolsillo donde a cada rato
la mano busca una moneda el cortapluma
el peine
la mano infatigable de una oscura memoria
que recuenta sus muertos.
La Cruz del Sur el mate amargo.
Y las voces de amigos
usándose con otros.
Cuando escribí este poema todavía me quedaban amigos en mi tierra; después los mataron o se perdieron en un silencio burocrático o jubilatorio, se fueron silenciosos a vivir al Canadá o a Suecia o están desaparecidos y sus nombres son apenas nombres en la interminable lista. Los dos últimos versos del poema están limados por el presente: ya ni siquiera puedo imaginar las voces de esos amigos hablando con otras gentes. Ojalá fuera así. ¿Pero de qué estarán hablando si hablan?
Julio Cortázar, « Con tangos », Salvo el crepúsculo, Editorial Nueva Imagen, México, 1984.
MILONGA
Tata Cedrón chanta cette milonga
Avec musique d’Edgardo Cantón.
La Croix du Sud me manque
lorsque la soif me fait lever la tête
pour boire ton vin noir de minuit.
Et me manquent les coins des rues où somnolent
les épiceries
et où le parfum de l’herbe tremble dans
la peau de l’air.
Comprendre que cela est toujours là-bas
comme une poche où à chaque instant
la main cherche une monnaie le canif
le peigne
la main infatigable d’une mémoire obscure
qui recompte ses morts.
La Croix du Sud le maté amer.
Et la voix des amis
s’usant avec d’autres.
Lorsque j’écrivis ce poème, j’avais encore des amis dans ma terre ; après on les a tués ou ils se perdirent dans un silence bureaucratique ou jubilatoire, ils partirent silencieusement vivre au Canada ou en Suède, ou ils ont disparu et leurs noms sont à peine des noms de la liste interminable. Les deux derniers vers du poème sont affaiblis par le présent : je ne peux même plus imaginer les voix de ces amis parlant avec d’autres personnes. Pourvu que ce soit ainsi. Mais de quoi peuvent-ils parler, s’ils parlent ?
Julio Cortázar, « Avec tangos », Crépuscule d’automne, Éditions José Corti, Collection Ibériques, 2010, pp. 76-77. Traduit de l’Espagnol (Argentine) par Silvia Baron-Supervielle.
Je suis en train de lire cet ouvrage, tout doucement, je me régale...
Rédigé par : Pascale Arguedas | 23 mai 2010 à 22:22