Le 15 mai 1886 meurt à Amherst, dans le Massachusetts, Emily Dickinson. Image, G.AdC Considérée comme l'un des poètes majeurs du XIXe siècle, Emily Dickinson, quasiment absente de la vie littéraire et presque autant du théâtre de la vie, n'a nullement connu la célébrité de son vivant. Si quelques-uns de ses poèmes, connus de ses proches, ont été publiés dans des revues, il a fallu attendre plusieurs années avant que la plupart d'entre eux, rassemblés par ses soins sous forme de feuillets, voient le jour. En 1890, publiés par Mabel Loomis Todd et T.W. Higginson aux Éditions Roberts Brothers, les Poems connaissent un succès immédiat. Dans La Face nord de Juliau, sept, dernier recueil de Nicolas Pesquès, frappé par la « vibration » particulière du vers d'Emily Dickinson ― « Sentier de jaune conduisant à un bois pourpre » ― le poète ardéchois s'interroge : « Comment a-t-elle pu m'écrire ça ? Un tel tunnel de vibration. Comment a-t-elle pu voir ça ? Avec des yeux qui cessent de voir pour dire, des yeux submergés qui se taisent devant un manchon de chair. Il ne s'agit plus de regard et ce n'est que ça : 'corps clairvoyant' » De cette interrogation naît tout le travail de tissage entre les mots du poète français et ceux de la poète américaine. Intitulée E/J, la partie IV de l'ouvrage, lie en correspondance étroite le Jaune de Juliau et la blancheur estivale d'Emily. EXTRAITS DE LA FACE NORD DE JULIAU, SEPT « Avec Emily je pense que la couleur a une histoire plus ancienne que nos yeux. Mais ils doivent l'inventer, la fouiller. Nue, nuées sont des mots convenables pour avancer; terre aussi, mais ils ne sont possibles que pour décrire une compulsion, et conduire une telle description ― au sens de : ne pas avoir besoin d'écrire ― est finalement impossible. Jaune de la même couleur que Jaune aussi et d'autres questions pulvérisées par le brun rose inassouvi […] Je vois Emily prise dans l'attractif elle s'éloigne de face elle est à peu près incolore et terrible je la vois seule mariée en toute saison dans la gaze de la fracture ... blancheur du pouls, de l'orage blancheur générale de qui aime puis l'érogène imprévisible presque une flaque de genêts […] Il y a du sentier de Amherst sur la colline la chair n'est pas qu'un ouï-dire seul l'aspect enjoué est devenu fictif, adorable comme un nuage de femme retranché dans un brûlot ... un même frou-frou tremble dans les genêts écrire ne soulève pas que du verre est-ce qu'on ne risque pas de la tuer comme ça ? […] tout un été en Emilie ... « ― Chaque Nuit l'Échéance ― Chaque jour ― la faillite ― » ... découpé en lanières avec des angles morts, des tirets, des rongeurs E est J en jaune tout entier remontée ex aequo en colline sous le ruban jaillisseur ... Juliau vidé d'une substance maintenant ouverte paupières éteintes » Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau, sept, André Dimanche Éditeur, 2010, pp. 87, 91, 94, 109. |
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Que de beauté relie Nicolas Pesquès et Emily Dickinson dans ces vibrations de couleurs inassouvies. Pour eux, pour les lier encore, grâce à la lecture de ce billet-Arcane de la lieuse-liseuse des mondes enfouis dans la mer "ambre", Angèle, quelques vers d'Une âme en incandescence (traduits par Claire Malroux, dans l'édition de chez Corti, chapitre 12, pp. 46/47).
"Où des Bateaux de Pourpre - se balancent -
Sur des Mers Jonquille -
De fantastiques Marins - se mêlent -
Et puis - le Quai est immobile !(265)
Voilà - la terre - que baigne le Couchant -
Voilà - les Rives de la Mer Ambre -
Où surgit-elle - où déferle-t-elle -
C'est là - le Mystère de l'Occident !
Nuit après Nuit
Son pourpre négoce
Jonche le quai de Balles Opales -
Des navires marchands - au ras des Horizons -
Plongent - et comme Loriots s'évanouissent ! (266)"
"Where Ships of Purple - gently toss -
On Seas of Daffodil -
Fantastic Sailors - mingle -
And then - the Wharf is still ! (265)
This - is the land - the Sunset washes -
These - are the Banks of the Yellow Sea -
Where it rose - or whither it rushes -
These - are the Western Mystery !
Night after Night
Her purple traffic
Strews the landing with Opal Bales -
Merchantmen - poise upon Horizons -
Dip - and vanish like Orioles ! (266)"
Rédigé par : christiane | 15 mai 2010 à 19:21
Merci, cher Yves, pour ce pur moment de bonheur. Cette musique est d'une rare profondeur et l'andante est mon passage préféré. Franz Schubert me touche jusqu'aux larmes et cette berceuse à la mort est d'une pureté et d'une douceur absolue. Et quel bel accompagnement du billet de votre épouse. Merci à tous deux pour tant de beauté.
Rédigé par : christiane | 16 mai 2010 à 17:54