Je rêve d'une mort subtile, d'une mort camouflée, que le dernier sursaut des masques travestisse en extase ou en rire. Je rêve d'une mort qui s'ignore, innocente et sournoise, du couteau au détour des ruelles, de la balle perdue qui me préserve jusqu'au bout de l'horreur du choix. Je rêve d'une mort anonyme, effacée, opaque à force d'ourdir ses raisons, ou n'en ayant pas, qui, ne justifiant et n'achevant rien, sauverait le secret qui, peut-être, n'existe même pas hors d'elle... Je rêve d'une mort qui échoue, comme tout doit échouer, sauf l'amitié qui, n'exigeant rien, se plaît à encore et toujours offrir, dans cette discrétion qui tant lui ressemble... Quelquefois, l'on se souvient, ou l'on rêve : de cette adolescence savante, de celui qui au sortir d'elle, revenu de tant, faisant déjà corps avec sa dépouille, traverse seul la trouée vers la promesse des bateaux. La nuit, dans la confusion des moments de la spirale, celle qu'on ne peuple pas, qui renverse et bannit jusqu'à la nudité de tout... Vienne celle qui marque à l'épaule la fin de l'attente, celle, de tous avènements, qui, d'une overdose savante, extermine lentement, sous mes yeux, l'« à-venir », ses pièges, ses ruses, ses créatures. Reprenne celle (la même ?) où je suis en paix car, les livres écrits, les femmes effleurées, le monde clos, je peux enfin couler à pic sans que la conscience du gâchis m'empêche de savourer les délices de la noyade. La nuit, « pas de détails, tout dans les yeux », celle d'une mer sans surface où tu es qui tu es, non pas de m'écouter la dire, mais de tout savoir à l'avance, à l'orée de la grande commune dissémination. Quelle fête encore à épuiser, attentif et distant, innombrable et ramassé, ouvert et séparé infiniment, avec, dans le repos des lèvres, comme un dernier sourire ? Plus la peine d'« expliquer » : ta présence inlassable, la discrétion de cette parole interrompue dont nous ignorons tout mais dont, déjà, nous accomplissons les rites... Ne rien édifier, que nous soyons ou non au monde. Exiger des soubresauts même qu'ils soient provisoires. S'éloigner sans parcourir, en une seule fois, silencieux déjà de tous les bruits, sans tromper avec l'autre versant l'assonance, sans un regard pour qui ne précède. « Le long du mur du cimetière, les grandes herbes se moquent de la prison maritime ». Tout comme ce droit d'être hors d'attente, ce visage de quinze ans, aveuglant, en qui ne persévère que l'impassibilité blanche qui ratifie tout d'avance... André Rougier D.R. Texte André Rougier |
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Magnifique ! Dévêtir la vie, ainsi, quelle étrange saveur.... Porosité du silence. Vous visitez les vivants comme le poète William Carlos Williams, dans sa ville de Paterson, visitait ses patients, ses chers immigrants. Il les écoutait et trouvait dans leurs mots sa matière à écrire. Vous aussi vous touchez nos mots d'immigrants pour en faire cette poésie d'entre les murs... même ceux d'un cimetière ! Ce sont des mots de terrains vagues, des mots pulvérisés qui donnent parole à la lumière friable, à la mort engourdie, à l'opaque. De lundi en lundi, vos textes font signes sur les terres de la très mystérieuse Angèle Paoli qui sait des choses que nous ne savons pas... déployant sa parole de poète dans l'inépuisable de la vie.
Rédigé par : christiane | 05 avril 2010 à 14:26
Je ne m'attendais pas à voir surgir ici le poète William Carlos Williams, si peu et si mal connu en France! Du monde de l'adolescence évoqué dans son billet par notre Nestor "lunial" aux patients de Williams et de sa bonne ville de Paterson (Massachusetts), il y a un océan, y compris dans la forme de l'écriture, que seule Christiane peut nous faire traverser. Avec talent.
Rédigé par : Angèle Paoli | 05 avril 2010 à 20:31
Voici donc le poème de William Carlos Williams qui pour moi, fait lien (Selected Poems, New York, New Directions, 1969, p. 84)
"Between Walls
the back wings
of the
hospital where
nothing
will grow lie
cinders
in which shine
the broken
pieces of a green
bottle"
et la traduction proposée par Richard Stamelman :
"Entre les murs
les ailes arrières
de
l'hôpital où
rien
ne croîtra gisent
des cendres
dans lesquelles brillent
les morceaux
brisés d'une bouteille
verte"
Il m'a semblé rencontrer dans ces deux textes, celui d'André Rougier (Nestor) et celui de William Carlos Williams, une même poignante approche de la souffrance et de la mort et cette étincelle immatérielle d'éclats de verre verts comme une adolescence brûlante et incandescente. Ces deux poètes me bouleversent et je migre vers le vide et la lumière de l'un et vers la densité compacte et écartelée de l'autre. Noir et blanc, impénétrables proximités...
Rédigé par : christiane | 05 avril 2010 à 23:05