Le
8 avril 1907 est déclarée à Arras (Pas-de-Calais) la naissance de
Violette Leduc, née le 7 avril.
Image, G.AdC
Non reconnue par son père, André Debaralle, issue d'une famille de la bourgeoisie valenciennoise, elle est élevée par sa mère, Berthe Leduc, qui fait peser sur sa naissance le poids de sa bâtardise et la haine des hommes. Mise en pension dans les collèges de Valenciennes puis de Douai, elle découvre l'amour interdit, avec Isabelle d'abord (Thérèse et Isabelle, Gallimard, 1966 ; rééd. version intégrale, 2000), avec Hermine ensuite. Deux rencontres décisives – celle de l'ami homosexuel Maurice Sachs en 1932, celle de Simone de Beauvoir en 1945 ― encouragent et orientent Violette Leduc vers la littérature. Selon Carlo Jansiti, auteur de Violette Leduc, biographie, Simone de Beauvoir fut « tour à tour son mentor, sa muse inspiratrice, sa destinataire, sa lectrice privilégiée et son agent littéraire, son censeur et sa bienfaitrice ». Après Ma mère ne m'a jamais donné la main (1945), L'Asphyxie voit le jour en 1946, grâce à Simone de Beauvoir. En 1964, l'auteur des Mémoires d'une jeune fille rangée écrit pour La Bâtarde ― autobiographie marquée par l'absence d'identité de son auteur ― une préface retentissante qui en assure le succès.
« Les livres de Violette Leduc sont « ravigotants » à cause de ce que j’appellerai son innocence dans le mal, et parce qu’ils arrachent à l’ombre tant de richesses. Des chambres étouffantes, des cœurs désolés ; les petites phrases haletantes nous prennent à la gorge : soudain un grand vent nous emporte sous le ciel et la gaieté bat dans nos veines. Le cri de l’alouette étincelle au-dessus de la plaine nue. Au fond du désespoir, nous touchons la passion de vivre et la haine n’est qu’un des noms de l’amour ».
Préface de La Bâtarde, Gallimard, Collection L’Imaginaire, 1996, page 18.
EXTRAIT
Mon cas n'est pas unique : j'ai peur de mourir et je suis navrée d'être au monde. Je n'ai pas travaillé, je n'ai pas étudié. J'ai pleuré, j'ai crié. Les larmes et les cris m'ont pris beaucoup de temps. La torture du temps perdu dès que j'y réfléchis. Je ne peux pas réfléchir longtemps mais je peux me complaire sur une feuille de salade fanée où je n'ai que des regrets à remâcher. Le passé ne nourrit pas. Je m'en irai comme je suis arrivée. Intacte, chargée de mes défauts qui m'ont torturée. J'aurais voulu naître statue, je suis une limace sous mon fumier. Les vertus, les qualités, le courage, la méditation, la culture. Bras croisés, je me suis brisée à ces mots-là.
Lecteur, mon lecteur, j'écrivais dehors, sur la même pierre il y a un an. Mon papier quadrillé n'a pas changé, l'alignement des vignes est pareil au-dessous de la chevauchée des collines. Au troisième rang, c'est encore la buée de chaleur. Mes collines baignent dans leur auréole de douceur. Suis-je partie, suis-je revenue ? Vivre ne serait donc plus mourir sans répit avec les secondes de ma montre-bracelet. Cependant mon extrait de naissance me fascine. Ou bien me révolte. Ou bien m'ennuie. Je le relis du début à la fin chaque fois que j'en ai besoin, je me retrouve dans la longue galerie où se répercute le bruit des ciseaux du médecin-accoucheur. J'écoute, je frissonne. Finis les vases communicants que nous étions lorsqu'elle me portait. Me voici née sur un registre de salle de mairie, à la pointe de la plume d'un employé de mairie. Pas de saleté, pas de placenta : de l'écriture, un enregistrement. Qui est-ce Violette Leduc ? L'arrière-grand-mère de son arrière-grand-mère après tout. Relisons-le, relisons-le. Ça, une naissance ? Une boule de naphtaline avec son odeur de bouderie. Des femmes trichent, des femmes souffrent. Elles plaisaient : elles effacent leur âge. Je claironne le mien puisque je ne plaisais pas, puisque j'aurai toujours mes cheveux d'enfant. Il m'a fallu deux heures et demie pour écrire cela, deux pages et demie de mon cahier quadrillé. J'avancerai, je ne me découragerai pas.
Lendemain matin, 8 heures du matin du 24 juin 1962. J'ai changé d'endroit, j'écris dans les bois à cause de la chaleur. Commencé ma journée en cueillant un bouquet de pois de senteur sauvages, et ramassant une plume d'oiseau. Et je me plains d'être au monde, dans un monde de trilles et de chardonnerets. Les châtaigniers sont minces, leur tronc est indolent. La lumière, ma lumière domptée par le feuillage. C'est nouveau et c'est la nouveauté de ma journée.
Violette Leduc, La Bâtarde [1964], Gallimard, Collection L’Imaginaire, 1996, pp. 19-20.
Un de mes écrivains de prédilection...
Elle est enterrée à Faucon dans le Vaucluse.
"Et je me plais d'être au monde dans un monde de trilles et de chardonnerets..."
Ne manque que la huppe et le tour est joué.
Violette Leduc, comme Albertine Sarrazin, lumières que rien n'éteint.
Merci de nous le rappeler.
SD
Rédigé par : sylvie durbec | 09 avril 2010 à 19:49