Chroniques de femmes - EDITO
COUP DE CŒUR POUR ATTILA Il fait bon ce soir (30 janvier 2010), dans la librairie Folies d’Encre de Saint-Ouen. Les petites chaises sont installées. Les deux jeunes éditeurs Frédéric Martin et Benoît Virot sont là. Ils s'affairent autour de leurs vidéos. Et autour d’Attila. Le nom de leur jeune maison d'édition. Née au printemps 2009. Attila. Je garde de ce nom le souvenir d'un seigneur guerrier-nomade, une sorte de Gengis Khan, arpenteur des steppes à l'infini, sauvage et cruel sur son cheval ailé... Je découvre que sa cour était raffinée, qu'Attila parlait grec et latin... Qu'il était entouré d'érudits, d'artistes. On l'appelait le noble Etzel. L'écrivain hongrois Tibor Fonyodi le décrit dans son roman Le Chamane d'Attila (paru en 2005 aux éditions Pygmalion), lui et la civilisation des Huns, empreinte de spiritualité et de culture. Issus de la revue Le Nouvel Attila, où l'on pouvait découvrir des auteurs oubliés, en marge des grandes maisons d'édition, voici nos jeunes éditeurs lancés dans la grande Aventure de l'édition ! Toujours « défricheurs », toujours soudés à leur équipe de traducteurs, de graphistes, d'illustrateurs et de créateurs. Nos aventuriers écument maintenant les librairies amies. Ils y rencontrent des lecteurs avides de découvrir ces auteurs dont on ne parle nulle part ailleurs. Dans Paris et sa banlieue, mais aussi à Grenoble ou à Lyon... Où ils présentent les petites merveilles qu'ils ont peaufinées : Ascension de Ludwig Hohl, Invention des autres jours de Jean-Daniel Dupuy ― et ses fragments de lieux désolés et leurs naufragés―, Fuck America d'Edgard Hilsenrath, leur premier livre lancé comme un OVNI sur les tables des librairies, Le Rapetissement de Treehorn de Florence Parry Heide, une histoire à la Lewis Caroll dont les pages agrandies tapissent les murs ce soir pour que nous nous délections des graphismes irrésistibles d'Edward Gorey. Nous regardons la présentation de Fuck America. Edgard Hilsenrath est si beau avec son air malicieux de vieux libertaire au sourire désarmant. Son personnage, Bronsky, est tellement étrange, désorienté, dans ce monde qu'il ne comprend pas. Je retiens, livre à acheter... En même temps, Frédéric Martin et Benoît Virot sortiront La Tombe du tisserand, du grand nouvelliste irlandais Seumas O'Kelly. Un mort qui a perdu sa tombe. Burlesque métaphysique. Deux vieillards mènent l'enquête dans cette scène d'enterrement pas comme les autres ! Un très joli cadeau : les gravures à la fin du livre comme un petit accordéon enchanté qu'il faut déplier. Délices de la soirée, les séries de Plympton, courts-métrages désopilants. Les normes sociales explosent ! Délire et cruauté. Jubilatoire. C'est tout cela, Frédéric Martin et Benoît Virot. Tant de générosité, tant de cadeaux à leurs lecteurs via des libraires passionnés. Justement, Sylvie, de Folies d'Encre, nous lira des extraits de Paris insolite de Jean-Paul Clébert, à l'honneur ce soir : elle choisit cette mémoire des Biffins qui fait notre histoire, ici, à Saint-Ouen. Sacrée aventure pour l'auteur. Jean-Paul Clébert, ce Rimbaud de Neuilly, élevé chez les jésuites, plaque tout à seize ans pour s'enfoncer dans le Paris des « moins-que-rien », où survivre est essentiel et où écrire nécessite de glaner des papiers dans les poubelles. Errance poétique solidaire des petits. Paru en 1952, ce « roman aléatoire » avait été oublié, et voilà que nos deux compères lui redonnent vie et audience. Magnifique rush des scènes tournées sur les traces de Jean-Paul Clébert. Les photos de Patrice Molinard explosent de naturel. Sept mois ont été nécessaires pour préparer la sortie de Paris insolite, accompagnée de nombreuses interventions en librairie. Sauf à... Neuilly, où Frédéric Martin et Benoît Virot n'ont pas trouvé de libraire pour les accueillir !!! Mais Attila ne désempare pas. Le porte-à-porte ― tant d'autres éditeurs ont fait leurs débuts de cette manière ― est leur pratique obligée. Cent vingt libraires ont accueilli leurs livres. Reste à se faufiler dans le monde des journalistes... Une contrainte malgré tout : ne pas excéder dix livres par an. Attila ? Mais pourquoi Attila ? « Pour un coup de cœur pour un livre. Pour la passion de lire un manuscrit rare. Pour sortir de l'ennui de soi. Ouvrir un manuscrit : quel bonheur ! Envie de transmettre ce bonheur. Quatre-vingt-dix heures de travail par semaine... » Joie de prolonger cette rencontre dans la convivialité, un verre à la main. Chacun repart avec ses livres... et son désir de revenir à Folies d'Encre. Pour d'autres découvertes. Pour reparler de ces deux éditeurs intrépides... et si sages. Christiane Parrat D.R. Texte Christiane Parrat |
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