* Tu dormais impérieusement, la houle à ton flanc, dans l'apparence lacérée. Ta paume, ouverte à cette intimité où vacille le sable, semblait attendre.
J'enviais ton achèvement, ton autonomie, cette intransigeance qui déjà te mettait loin, le dehors où je me cogne à tes plaies, à l'heure close, à tout...
Car si tu souriais, c'était à la solitude de ton rite, à rien d'autre, pas même aux sévices du voyage, à celle qui te traverse, que tu rachètes, presque, d'être seul en elle.
Combien de fois, pourtant, ai-je respiré la fissure, entrevu la dérive, dans la lumière de cuivre brûlé, accrue obstinément, et pauvre, où nulle demeure n'osait te rejoindre ?
Combien de fois me suis-je couché là moi aussi, sans partage ni dégoût, à espérer la fin des simulacres, du mouvement qui mutile, des dispersions sans lieu ?
Mais aujourd'hui, trop tard venu, ou trop tôt – à tant me perdre dans d'autres inexorables fêtes – j'ai accepté d'être là, là où indéfiniment, je te regarde, et t'envie...
Je ne sais toujours pas lequel de nous a frôlé la loi, s'est joué de la nuit, s'est reconnu dans sa morsure...
Car tout est sans détours dans l'inondation muette qui à l'orée de moi, insensée, me lie au risque de t'aborder de face, où le bris sans fin se remplit, où je te ressemble, oui, te ressemble.
* Ton heure de vol
Par-delà la chaleur béante
Des villes
Cette guerre que tu arraches
Comme une arcade de doigts noyés
Pour voir la moitié sûre
SUTURES
* Bien avant la distance et le repli, quelque chose qui aurait pu être la vie guettait
pour toi : des voyages, une maladie secrète et presque oubliée, des ébauches, des refus,
des projets...
Lentes bouteilles, lourdes mers, miroirs enfin face à face coagulant les reflets
comme pour eux seuls, grand saule près du clos ne rassemblant que ce qui EST pour peu
à peu l'affermir, heure d'à côté, refuge où de toi tout se joue, la frêle clef qu'un geste
ou un saut donneraient, les soutes, les venins, les tourments, la ferme corruption
que tu nommas mémoire et qui te fit combler, à force de maux, l'abîme vivace...
* Tu aimes te souvenir des choses autant que les vivre, les vivre comme en sachant
qu'elles ne sont jamais perdues, comme si les morts pouvaient arrêter un autre temps que le leur...
* Dans la nuit qui couve, par ces rues disjointes, siamoises, incernables, que ceux
qui furent un et qui s'éloignent jamais n'éprouvent cet effacement comme la
blessure qu'ils se seraient infligés l'un à l'autre...
* Ô silence des longs navires sans pavois, des cartes où seul demeure ton lent
voyage à contre-mort...
Je sais que cela t'attristait de te sentir en marge, de regarder tous ces gens du
dehors, en patient, obscur entomologue. Mais qu'y faire, c'est toujours la même
chose, tu as même fini par apprivoiser cette aptitude de ne jamais te compromettre
jusqu'au fond en quoi que ce soit. Du moins jusqu'à hier...
Comment puis-je te faire offense en affirmant ou en niant, alors que j'ignore quand
et comment tu l'as décidé : pourquoi pas dès l'enfance ? Au nom de ces liens que
années ne parvinrent ni à rompre ni à éclairer, du limpide besoin de parcours éclos
en ces lointains printemps, je consens enfin à la gaucherie des rumeurs, au vil
effondrement des preuves, à tant de déserts lucides, sachant que tu as troqué cette
fois-ci, peut-être pour la toute première fois, les ruissellements pour un seuil, les
envols pour un mot qui ne soit pas de passe, les refuges pour une demeure...
* Comme tu les envies, lapidaires, comme indifférentes à ce qui n'est pas la substance
des choses, hors, non pas du Temps, mais des temps privés et contingents... Ainsi
de la littérature, de ce fleuve emportant les fléaux et les voix qui l'ourdissent, dont
la tienne si tant est que, sans exhibition, il en est une que tu reconnaisses telle...
Une sorte de classicisme si tu osais, non pas nouveau car rien ne l'est vraiment, mais
charriant l'écho des singuliers et inclassables de toute époque, relevé par tant de noms
incommensurables, tel celui de l'aveugle qui aurait moqué le terme sans le renier...
* Pourquoi le sujet aurait-il à se nommer et à se dire autrement qu'à sa façon,
brouillant les pistes, effaçant les traces, changeant les poteaux indicateurs,
laissant le chasseur à ses doutes et son néant, en ces forêts sans recours, en cet
enfer qui, étant de tous, n'est plus rien ni à personne...
* Qui n'est pas avec toi, dans ta séparation et dans ta nuit, ne t'est rien.
André Rougier
D.R. Texte André Rougier
Je ne cherche plus à comprendre les "billets de Nestor", je me coule dans la musique de cette écriture et suis son mouvement ample, sa respiration, sa fluidité. Nomade il est, nomade il nous fait. Caravane dodelinante, sensations amorties d'ondulations de sable, mirages, fugue. Monde fragile des roses des sables, horizon intérieur. De ses failles et ébranlements du langage à nos failles, le Simoun efface les traces et nous trouble. Trouverons-nous le passage ? Douceur et dissolution...
Rédigé par : Christiane | 15 décembre 2009 à 09:01