Sylvie Durbec, Marseille, Éclats & quartiers,
Éditions Jacques Brémond,
Remoulins-sur-Gardon (Gard), 2009.
Dessins de l’auteur.
Lecture d’Angèle Paoli
LA GRANDE FLEUR OÙ S’ORIGINE L’ÉCRITURE
Éclats & quartiers. Le sous-titre est déjà en lui-même une invite à la plongée dans la mémoire. Mémoire d’une ville, mémoire de Marseille. « Éclats & quartiers », cela claque comme le vent dans les vergues des bateaux amarrés, cela résonne en rafales de mistral sur le pavé de la ville. Les éclats se rassemblent, se rejoignent en quartiers, la ville a un visage. Un nom. C’est Marseille. Le Marseille de Sylvie Durbec, « maître d'histoires » depuis la haute enfance. Conteuse. Cela dérange aussi, peut-être. Car Sylvie Durbec, à la fois éprise de la blancheur mystique d’Emily Dickinson et des splendeurs d’Orient, place Marseille, Éclats & quartiers sous l’égide de la grande poète américaine. Et choisit pour exergue le fameux « Fame is a bee ».
Dès que l’on entre dans le livre, entrée au scalpel puisqu’elle réclame le coupe-papier, les éclats réapparaissent. Éclats de papier, éclats de quartiers, poèmes et proses, éclats de lignes aussi qui enchevêtrent leurs géométries pour recréer autrement « la cité achélème », sous la pointe du poète-dessinateur.
Six quartiers en tout, depuis le quartier Saint-Jérôme, quartier des tout commencements où l’enfant de la cité achélème des Tilleuls, s’éblouit des magnolias de rêves dont le nom à lui seul enrichit la misère ; jusqu’au quartier des îles, les îles du Frioul, visitées un jour de tempête avec le père. Initiée par celui qui tint promesse et fut « l'homme-fée » de ce jour, l’adulte écrit :
« Un jour entier
j’ai été poète du bord de mer
et me suis baignée
dans l’eau des commencements
celle qui permet le poème ! »
Entre le quartier de Saint-Jérôme et le quartier des îles, d’autres quartiers encore. Celui de La Viste, « Envers du monde » qui semble hésiter entre « montagne et désert », celui, mitoyen, de Saint-Antoine, que la conteuse convoque de ses incantations. Afin qu’il lui accorde de retrouver « la fille-maître des histoires », envolée et perdue au seizième étage de l’achélème de La Viste. D’errance en errance, d’un quartier l’autre, peuplé de ses images propres, ce qui subsiste de Marseille, « gâteau cassé sur la toile cirée du café des Voyageurs », ce sont les « éclats et quartiers de fruits et de billes jetés. »
Pourtant la vie de la conteuse « s’ouvre ». La fleur de magnolia s’agrandit pour laisser venir des quartiers nouveaux. Celui de Vauban et de Notre-Dame-de-la-Garde, lourds de mauvais souvenirs ; celui de la Plaine, « radeau envasé » qui regorge de secrets de mystères et de morts. La Plaine et ses alentours qui transforment la petite fille en « indien des grandes plaines » et faiseuse de pluie. Viennent enfin les quartiers du Port et de la Joliette, jadis ouverts sur les ardeurs d’Orient et sur ses travailleurs de la mer ; aujourd’hui blessés et avilis par les verrues de notre temps.
D’autres textes ― cinq au total ― qui oscillent entre prose autobiographique et poésie, prolongent ce voyage à travers les quartiers de Marseille. D’autres mots pour dire, à même la peau de l’enfant, le commencement de Marseille. Et fondre, en une grande déesse-mère, protectrice et prometteuse, les figures tutélaires de l’enfance – le père et ses mystères –, les chimères qui sculptent la ville et les rêves de la magicienne.
Poème des origines où s’origine l'écriture, Marseille, Éclats & quartiers a été récompensé par le Prix Jean-Follain 2008.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
|
Retour au répertoire du numéro de novembre 2009
Retour à l’ index des auteurs
Retour à l’ index des Lectures d’@angelepaoli
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.