Image, G.AdC 18 novembre 1975 Cher Jean, Il ne m'est pas très facile de t'écrire aussi souvent que je le voudrais. À vrai dire, comme tu as pu le voir, je ne t'écris presque jamais, et c'est certainement une des choses que je regrette le plus de n'avoir pas le temps de faire. Il faudrait se donner le temps. Disons aussi qu'il n’y a pas que le temps. Ce n'est pas si simple. Il faudrait en parler. Tu ne t'en rends peut-être pas bien compte, mais je pense souvent à toi. Je finis par vivre un peu avec tes problèmes. Et ces problèmes, je les sens très lourds en ce moment. Mais de la même manière, je sens très fortement que tu vas en sortir. Ce n'est pas exactement ce que je voulais dire en commençant. De quoi s'agit-il en fait ? C'est énorme et ce n'est rien. Il s'agit d'un livre à faire. Et voilà au fond ce qu'exactement je voulais te dire : c'est qu'un livre ne se fait pas tout seul. Je crois qu'un écrivain, surtout, très précisément, un écrivain qui est où tu en es, troisième livre, Goncourt au deuxième, etc., ne peut, tout seul, qu'essayer de mettre dans son livre de plus en plus de choses, jusqu'à ce qu'à la fin il en arrive à vouloir y faire rentrer l'univers et qu'à la fin, tout éclate, comme la tête du roi qui, quand il se la fait sauter avec un cigare de dynamite, a pris enfin la dimension de l'univers. Il ne s'agit que d'un livre. Il ne s'agit que du troisième. Il y en aura un quatrième, puis bien d'autres, et ce n'est que dans bien longtemps qu'on commencera à y voir un peu plus clair. Plus simplement, je suis tout à fait et très résolument sûr que tu ne peux pas aboutir sans montrer de temps en temps ce que tu fais à quelqu'un (suis mon regard). Tu sais aussi bien que moi qu'il y a un moment où il faut se poser très banalement les questions de technique, de mécanique. Où il faut en revenir à la pendule de La Bruyère. Et dans ces moments-là, l'œil d'un compagnon n'est pas à négliger, même si son idée de la pendule n'est pas la tienne. C'est trop long, c'est trop court, là le fil se casse, etc. De la mécanique. De la boutique. La boutique se fait à plusieurs. Tu vas me dire peut-être qu'avant de se demander comment faire la pendule, il faut peut-être se demander s'il faut vraiment faire une pendule. Alors là, et surtout dans ton cas, j'ai un avis absolument catégorique : je pense que le moment de se poser la question est tout à fait dépassé. La réponse est sans contestation possible: il faut faire la pendule et la faire vite, et où en sommes-nous ? Il y a à cela toutes les raisons du monde, et tu penses bien que je ne parle pas uniquement de commerce. C'est au fond très bien que tu viennes à Paris. Il faudra bien qu'un jour nous abordions donc ces questions autour desquelles nous n'avons fait que tourner jusqu'ici. C'est peut-être pour cette année. Je t'attends et je t'embrasse.
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JEAN CARRIÈRE ■ Jean Carrière sur Terres de femmes ▼ → 9 novembre 1972 | Prix Goncourt pour L’Épervier de Maheux ■ Voir aussi ▼ → (sur le site de l'INA) Jean Carrière le sourcier → (sur Terres de femmes) Serge Velay, Le Palais d’été (extrait) |
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Dans Wikipédia on peut lire :
" Jean Carrière (né le 6 août 1928 à Nîmes, décédé dans la nuit du 7 au 8 mai 2005 à Domessargues près de Nîmes) est un écrivain français.
D'origine cap-corsine par sa mère, Andrée Paoli, Jean Carrière fut secrétaire particulier de Jean Giono (sur qui il écrira un essai) à Manosque, critique musical à Paris, chroniqueur littéraire à l'ORTF, il entame sa carrière d'écrivain avec son roman Retour à Uzès en 1967 (prix de l'Académie française). Il a publié une vingtaine d'ouvrages, principalement des romans.
Lauréat du Prix Goncourt en 1972 pour L'Épervier de Maheux, publié par l'éditeur Jean-Jacques Pauvert, le succès (2 millions d'exemplaires, traduction en 14 langues), la mort brutale de son père écrasé par un chauffard et un divorce, le plongeront dans une profonde dépression qui lui fera écrire quinze ans plus tard Le Prix d'un Goncourt. "…
Amicizia
Guidu___
Rédigé par : G.AdC | 19 novembre 2009 à 11:53
En effet, cavaliere, Andrée Carrière et mon père sont cousins. Je viens de trouver, entre les pages des Années sauvages, roman de Jean Carrière, quelques lettres échangées entre ma mère et Jean Carrière-Paoli. Il y est question, entre autres choses, de photos où l'on voit mon père (Jean Paoli), âgé de vingt et un ans, aux côtés de Jean, âgé de huit ans, Andrée et ses parents. Qu'est devenue cette photo ? Jean Carrière l'a-t-il renvoyée à ma mère à qui elle appartenait. Ma mère ne se souvient pas.
Le seul qui puisse m'aider à retrouver ces liens qui unissent Jean Carrière à son village corse de Canari, c'est Serge Velay qui se passionne pour le fonds Jean Carrière et m'a fait parvenir deux tomes des Carnets Jean Carrière.
Je sais aussi que la grand-mère de Jean, dite "mémé Paoli", avait dit à son petit-fils: "n'oublie jamais ta famille corse". Et aujourd'hui, c'est moi qui m'occupe de Jean Carrière. N'est-ce pas émouvant?
Rédigé par : Angèle Paoli | 20 novembre 2009 à 19:56
J'avais douze ans en 1972 quand Jean Carrière obtint le Goncourt et c'est à cet âge que j'ai lu L'Epervier de Maheux. On peut donc considérer que ce fut mon entrée dans le monde de la littérature, passion qui depuis ne s'est pas démentie. Certes j'étais bien jeune pour percevoir tout ce qu'il y avait derrière cette histoire de paysans des Cévennes, mais je suis certain d'être allé au-delà de la simple intrigue et d'avoir déjà deviné toute la démarche existentielle qui est le vrai message du livre.
J'ignorais totalement que vous étiez parents.
Rédigé par : Feuilly | 21 novembre 2009 à 23:45
http://www.franceculture.com/emission-jean-carri%C3%A8re-1928-2005-2010-05-18.html>France Culture
Le Mardi des auteurs
par Matthieu Garrigou-Lagrange
Mardi 18 mai 2010
de 15h00 à 16h00
Jean Carrière (1928-2005)
Par Stéphane Bonnefoi et Viviane Noël ;
- et la voix de Jean Carrière (archives INA).
Rédigé par : Agenda culturel de TdF | 17 mai 2010 à 01:45