Ph., G.AdC
LIBAZIONI DI SANGUE
Si leva u ventu nant’à i marosuli di lava culunnante, calore di piombu u mare fundariccia di vinu pesa u so mareghju fin’à e sponde scurdate di Naxos Hè custì chì ombretica accostu eo à e nozze sceme di Baccu stracquata à l’appossu di a grotta marina una menada dorme biancore lascivu ingutuppata nuda in l’ebriezza dolce di i sonni di a carne vuluttà tennera offerta à i mio sguardi assenti
Una acquaria hè pisata in onore di l’amori di Baccu a so bivenda trimulente rimore luce cristallina di a gemma e rise s’imbuleghjanu cù i rantali è cù i calori in armenti corpi frementi rossi infiarati fischi di serpi crotali di cimbale di flauti scimità sgaiuffa di e baccante di e silene di i becchi sunaglienti i fauni alegri (imbicchiti) t’anu un ansciu puzzulente u rossu di carne di a so bocca escenu vapori infantimati cù versi di dimogni
Una pantera ochji d’oru cura a scimia cunfusa di i dii Ieratica
Da issu miscugliu di gaspe di carne in brama d’alegrie eterne sorge da l’incarnatu impalliditu di u visu u ricordu sempre vivu di Baccu zitellu polpe rose prumesse à i sborri di calore vignaghjolu muscu di focu chì voca da l’alba in giru à u scogliu battutu da u marosulu brusgente u vecu chi offre u so fronte à torcini pampane è viticci è mi porghje a coppa calice tralucente di frutta matura chi sugillerà au licore di e nostre preghere
Un aghju ochji oramai chè pè l’intagliature tese à e nostre labbre luccicanti di u rubinu di a vigna cederaghju stanca di pianghje per tè Teseu à e sborgne prumesse da l’elissiru divinu à bocca meza spalancata nant’à a voglia Baccu digià chjode l’ochji nant’à l’ubriachezza prossima l’oru di u vinu fala ind’e nostre vene sangue imbulighjatu à u sangue immurtale di a pergula inseme ritimemu i nostri sensi imbulighjati à u tirsu di l’amore
U mare culor di vinaccia si ritira ingutuppendu cù i so piechi u trostu di i dii
L’isula stravia briaca da i so addisperi sordi
L’antica baccanale s’anneia ind’e so nebbie di focu.
Angèle Paoli
Traduit en corse par Jacques Fusina
LIBATIONS DE SANG
Le vent se lève sur la vague lave brûlante chaleur de plomb la mer lie de vin soulève sa houle jusqu’aux rives oubliées de Naxos c’est là qu’ombrageuse j’aborde aux noces folles de Bacchos couchée à l’abri de la grotte marine une ménade dort lascive blancheur drapée nue de l’ivresse douce des sommeils de la chair volupté tendre offerte à mes regards absents
Une aiguière est levée en l’honneur des amours de Bacchos son breuvage tremblé bruit clarté cristalline du gemme les rires aux râles et aux ruts se mêlent corps vibrants pourpres d'incandescence sons de crotales de cymbales de flûtes folie canaille des bacchantes des silènes des boucs agités de grelots les faunes réjouis éructent une haleine fétide l’incarnat de leur bouche s'exalte des vapeurs hantées aux rictus des démons
Une panthère ocelles d’or veille sur l’ivresse confuse des dieux Hiératiquement
De l’enchevêtrement grappes de chairs avides de liesses éternelles surgit dans l'incarnat pâlissant du visage le souvenir encore vif de Bacchos enfant rondeurs rubicondes promises aux excès chaleureux de la vigne odeur de feu qui rôde depuis l’aube autour du roc battu par la vague brûlante je le vois qui offre son front torsadé pampres et vrilles et me tend bienveillant la coupe translucide calice de fruits mûrs qui scellera la liqueur de nos vœux
Je n’ai d’yeux désormais que pour les ciselures tendues à nos lèvres luisantes des rubis de la vigne céderai-je lassée des pleurs versés pour toi Thésée aux enivrements promis par l'élixir divin bouche entr’ouverte sur le désir Bacchos déjà ferme les yeux sur l'ivresse prochaine l'or du vin roule dans nos veines sang mêlé au sang immortel de la treille ensemble nous rythmons nos sens enchevêtrés au thyrse de l'amour
La mer lie de vin se retire enroulant de ses plis le tumulte des dieux
L'île dérive ivre de ses sourdes détresses
L’antique bacchanale se noie dans ses brumes de feu.
Angèle Paoli, « Libations de sang », in Revue Siècle 21, Huitième année n° 14, Printemps – Été 2009, Dossier Le vin, coordonné par Jean Guiloineau, page 149.
« Jacques Fusina est une figure emblématique de la littérature corse contemporaine. Parolier, traducteur, chroniqueur, professeur d’université, ses talents sont multiples. Mais il est avant tout poète. C’est ce qui fait l’unité de sa vie et de son œuvre. Poète à la fois populaire et raffiné, ce paradoxe le désigne comme un maître. […]
La poésie en langue corse de Jacques Fusina a séduit par sa musicalité les chanteurs insulaires. […] Le poète en langue française est moins connu. Pourtant son aventure poétique a commencé avec la publication, en 1969, de Soleils Revus.[…] »
Marie-Jean Vinciguerra
QUELQUES PUBLICATIONS DE JACQUES FUSINA
- Soleils Revus, P.J. Oswald, Collection « Voix Nouvelles », Honfleur, 1969. Poèmes en français
- Cantilena veranile, Scola corsa, Bastia, 1983. Poèmes pour enfants (en corse)
- E Sette Chjappelle, éd. Albiana, Levie, 1986. Poèmes et proses (en corse). Prix du Livre corse. Prix de la Région (1987)
- Contrapuntu, La Marge éd., Ajaccio, 1989. Illustrations de Peter Berger, poèmes et chansons (en corse avec traduction française)
- Versu Cantarecciu, Albiana éd., Ajaccio, 1996. Poèmes et chansons (en corse)
- Parlons corse (ouvrage grammatical et introduction à la culture corse), Paris, Lharmattan, 1999
- Retour sur images, Biguglia, Stamperia Sammarcelli, 2005 (poèmes en français, parmi lesquels des poèmes traduits qui permettent de rendre compte de la réalité bilingue insulaire)
- Écrire en corse, Klincksieck, Collection « 50 questions », 2010
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Comme c'est beau ces passerelles d'une langue à l'autre. Est-il possible d'entendre ce poème en langue corse ? Vous dites, Angèle, que sa poésie est chantée, que la musicalité de la langue est magnifique et on le sent dans les mots rares et sonores de la traduction, leur rythme, ce qu'ils font ensemble dans l'oreille et dans les yeux, alors j'essaie d'imaginer... (Pour la traduction c'est plus facile, j'essaie de trouver son rythme pour l'oraliser mais la langue corse je ne sais pas du tout comment il faut la prononcer !)
Rédigé par : Christiane | 01 octobre 2009 à 21:22