19.
Aujourd’hui, veille de fête, lever aux aurores. Matinée informatique prévue depuis plusieurs jours déjà. Le téléphone sonne. Déjà. En même temps que les sonneries réveil des différents portables répartis dans le franghju. Je me suis couchée tard ou tôt, très tard. Je sors sur la treille et scrute le ciel. Il fait doux. Les grands froids annoncés et la neige attendue au-dessus de sept-cents mètres, ce n’est sans doute pas pour aujourd’hui. La maison résonne déjà de mille coups. De la cave au grenier, de haut en bas. Les ouvriers du haut s’acharnent sur le carrelage. Travaux programmés depuis des mois. C’est précisément aujourd’hui que la question du carrelage arrive sur le tapis et que l’équipe se met au travail. Panne d’électricité. Ça vient encore de disjoncter. Pas d’eau chaude non plus. Il faut remettre la douche à plus tard. Je me dépêche. Le temps me rattrape. Faire la chambre, ranger l’espace informatique, trier livres et fringues. Pas assez de place, je fulmine. Il faut que je compresse et que je m’habitue.
Je mets la main sur mon dictionnaire de langue corse, introuvable jusqu’alors. La première bonne surprise de la matinée. J’espère qu’elle sera suivie de quelques autres. Je vais pouvoir m’attaquer à la traduction de Manfarinu, mon âne de Noël. Je me suis mis ça en tête ! Je mettrai le temps qu’il faudra mais pour Noël prochain, mon conte sera prêt. En attendant, il sort ces jours-ci dans une revue wallonne spécialisée sur les ânes. Ces incompréhensibles contrastes me font sourire. Tout cela est bien surprenant !
Un bruit de sabots dans la venelle me tire de mes rêveries. Les ânes, ce matin ? Je les attendais demain. Oui, chargé de bûches, l’âne solitaire déboule sur la terrasse. En même temps que l’informaticien qui dépose ses mallettes et son matériel sous le tilleul ; un troisième homme est là qui traverse la terrasse avec la porte vitrée de la cuisine sous le bras. Il me faut une seconde pour le « remettre », comprendre qui il est et ce qu’il est en train de faire. Je n’avais pas prévu sa visite. Il ne s’était pas annoncé. Je le regarde interloquée. « Je viens pour la crémone. » La crémone ? Je pense à « crémaillère », mais ce n’est pas ça. « Oui, la crémone. Je vais aussi changer les cavaliers ». J’avais aussi oublié les fameux cavaliers. Je suis toujours étonnée de la batterie de mots inouïs qui surgissent au détour de la vie. « Très bien, faites donc ». De toutes façons, je n’ai pas le choix, il est là avec ses outils, ses taquets, ses rivets et ses mots bredouillés qui trébuchent sur les lèvres. Je marche dans du verre brisé. Je lève les yeux vers les fenêtres de l’étage. Il ne manquerait plus que ça ! Non rien de cassé dans les hauteurs de la maison.
Ma mère surgit en plein milieu de tout ce tintamarre. Elle ne comprend rien à ce qui se passe de la cave au grenier. Je la fais rentrer dans la maison, les courants d’air ne lui valent rien.
Le jeune ânier, beau et racé comme un pâtre grec, échange en corse quelques bribes de mots avec le menuisier. Vagues onomatopées qui suffisent au dialogue. La porte vitrée est allongée sur une table, les perceuses grincent, l’âne brait. Je passe de la terrasse à la treille, de la treille à la cave, de la cave à la cuisine. Je nourris l’âne de tout le pain sec amassé ces jours derniers. Ce n’est pas de refus. Il ingurgite la baguette sans renâcler. Armée de mon balai de sorcière, je nettoie la terrasse couverte de verre et de feuilles. L’assiette du chat y est passée. Les chiens du berger sans doute. Qui folâtraient d’une murette à l’autre. Les pas de l’âne qui va et vient, monte et descend rythment la matinée. EDF appelle pour dire que le rendez-vous de lundi est annulé. Il faut téléphoner à nouveau. Je sens la rage qui monte. Je m’acharne sur les feuilles mortes et le verre pilé. Le balai valse et les feuilles-obus du tilleul aussi.
Les bruits de marteaux ont cessé. La boîte à outils du menuisier s’est envolée. L’âne a disparu du carrughju. Seul demeure encore l’informaticien. La maison est retombée dans le silence. La matinée est terminée. Un rayon de soleil illumine mon écran. Vais-je pouvoir enfin travailler ? Cet après-midi, peut-être !
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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J'entends un silence, un silence d'amande close sous l'écorce de ces mots. Vous êtes ailleurs comme dans un jardin d'enfance où sous la feuille d'automne sont cachés vos trésors de fleurs séchées, de cailloux bleus, de coquilles d'escargots, de petites crottes de chèvres olives... une petite Alice perdue dans ses rêves, dans sa vie... écoutant des mots inconnus ouvrir un vieux portail rouillé qui grince au vent mauvais... Ah, oui, la maison est sens dessus dessous ! et vous ?
Rédigé par : Christiane | 12 septembre 2009 à 08:43