je pousse jusqu'aux splendides jardins de la Villa Cimbrone, puis jusqu'à la Terrazza dell'Infinito, je n'arrête pas de marcher, dressant inconsciemment l'impossible inventaire d'un naufrage, traversant le Belvedere della Principessa di Piemonte, longeant la Villa Rufolo où une chanteuse baroque jette depuis la scène surplombant la mer les pétales fanés de ses trilles sur les lumières du village trois cents mètres plus bas, coincé entre les parenthèses d'une rupture qui me consume, m'accordant comme je peux à la rumeur désespérée du monde, je traîne dans les ruelles un masque de mélancolie, lorsque je croise un passant, un couple, un groupe, je fais mine de savoir où je vais un rendez-vous un foyer confortable comme si je n'étais pas perdu dans ce dédale de pierres et de briques pudiquement recouvertes d'une épaisse végétation automnale qui me rappelle l'ardente chevelure de Marie-Madeleine flamboyant dans l'ombre minérale de Marie qui n'a d'yeux que pour le Christ qui ne regarde que l'Amoureuse plongeant à ses pieds dans l'abîme sans fond d'un amour agonisant un si considérable miracle dans ce si pauvre et si petit panneau de bois ô Tommaso di Ser Giovanni Cassai dit Masaccio comment est-ce possible ? le retour vers l'hôtel est un trou dans la nuit que j'ai du mal à franchir, m'accrochant aux grilles de villas invisibles, me cramponnant aux parapets penchés sur des obscurités, j'avance par à-coups, comme si mon corps risquait de s'envoler au moindre souffle, allait se déchirer aux ongles noirs des cyprès pour finir crucifié sur les barbelés des étoiles Marc Delouze, C'est le monde qui parle, Éditions Verdier, 2007, pp. 75-76. |
■ Voir aussi ▼ → (sur Terres de femmes) Hécate endormie |
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