Chroniques de femmes - EDITO
Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol,
Éditions Champ Vallon, 2009
Nous n’en finissons pas d’inventer une langue qui puisse parler ce que nous taisons le plus, une langue qui enlace parole et silence en un nouvel espace-temps. Et l’écriture poétique seule lui donnerait sa forme, sa force et sa vérité, suggère Ludovic Degroote dans son dernier livre Un petit viol, Un autre petit viol, en rendant audible à soi-même et aux autres l’imprononçable. Audible mais pas forcément intelligible car l’âme humaine demeure ce mystère où l’homme se perd. À vouloir comprendre, faire entendre le mal, saisir sa cause ou sa conséquence, le mettre en mots pour l’éclairer et partager la douleur, on s’aperçoit avec l’auteur qu’on entre dans « la spirale du texte comme de la vie qui se rapproche sans jamais rien pouvoir toucher ». Rose des tombes le corps adulte, lieu d’incertitude, de dépossession et de mémoire que l’enfance semble définitivement habiter surtout lorsque celle-ci s’est abîmée physiquement et moralement dans une expérience traumatisante qui a fait s’arrêter le cours de la vie. Après le petit viol, « reste à vivre mort… ce qui permet aujourd’hui d’essayer d’écrire ça » écrit l’auteur. L’intimité fracassée, le corps de l’adolescent instrumentalisé par un ami de la famille, l’amour dans la séparation, le sexe défiguré « mon salaud, tu bandes, dit l’homme sur le canapé, la bouche c’est comme un vagin, tu verras… », l’être entier bascule puis s’immobilise dans l’instant. Mais le temps continue et, trente cinq ans après, la blessure est toujours là, la honte de la jouissance, l’autodénigrement et la culpabilité aussi « j’ai quand même toujours été petit » murmure comme en s’excusant la voix du texte. Le désespoir, la peur et la révolte n’ont trouvé nul exutoire. Et l’on entend, au présent de l’indicatif toujours, la parole perdue de l’enfant en l’adulte qui ironise sur lui-même, sur les autres, et qui, dans son désarroi, met en accusation le monde familial et bourgeois qui n’a pas su voir, sentir, deviner, entendre la plainte muette, qui l’a laissé seul, livré à l’homme pervers : « Sûr que les autres devaient savoir mais se taisaient par crainte des remous ». Des couillus, le surnom ambigu, tout en minuscules comme l’ensemble du récit sans ponctuation signe, dans sa répétition et la continuité, une sidération. Effroi de la contrainte exercée sur l’adolescent de quatorze ans désormais sans moi, sans sexualité à découvrir, sans âge : « ce serait plus simple que tu sois mort, dit la voix qui parle, mélancolie sans fin ». L’auteur est conscient que cette Confession, ― et on ne peut s’empêcher de penser à Saint-Augustin et à Rousseau dans cette tentative de cerner la place du bourreau et de la victime et le poids de la responsabilité morale ― ne le sauve de rien. Le livre fini, refermé, l’absence de remède persiste : « Le petit Ludovic attend (toujours) ses parents à la cave ». L’écriture permet juste de poser les questions, de retrouver la capacité de réfléchir à ce qui vous a été volé : votre corps, espace mental. La construction du récit en tête-bêche témoigne du vécu de l’enfermement qui n’a jamais pu être rompu et la langue elle-même s’inscrit dans cette clôture. Pour Un petit viol, Ludovic Degroote commence par jouer de l’ordre chronologique pour mieux montrer le dérèglement de la vie « Il y a du temps qui passe et du temps qui s’arrête, nous sommes jonglés » puis pour Un autre petit viol, de l’ordre alphabétique, ultime tentative, fol espoir de retisser peut-être lettre après lettre, de A à Z, la trame déchirée de la vie et de sa parole. Car la voix qui parle dans Un petit viol et Un autre petit viol, ne peut habiter l’écriture que par effraction, elle en accepte l’errance, refait les comptes par les contes, ― Chaperon rouge ou Barbe bleue sont appelés à l’aide ―, refuse la vengeance ou la jalousie voleuses d’énergie, délimite la zone de non-droit, prévoit l’indignation du bien-pensant et la difficulté d’une morale mais, se heurtant toujours aux mêmes interrogations sans réponses sûres, elle finit par offrir au lecteur le seul don d’incertitude. Sa dernière injonction « sauvons le silence » sonne comme un avertissement et renvoie le lecteur à la lumière de sa nuit. Sylvie Fabre G. D.R. Texte Sylvie Fabre G. |
Retour au répertoire du numéro d’ août 2009
Retour à l' index des auteurs
Une fêlure, couleur sang, dans le noir de l'enfance qui troublera tous les miroirs du temps d'après...
Rédigé par : christiane | 30 août 2009 à 15:46