12.
Qu’a-t-elle fait ce matin ? Voilà qu’à son tour elle s’inscrit dans le faire. Le factuel, comme dit Sol. Ce matin, elle a vaqué à ses activités de ménagère. Elle a nettoyé la treille, toujours grondante d’abeilles et de bourdons avides de faire leur miel du suc des derniers raisins. Elle attend la couturière pour voir avec elle comment régler la question des rideaux restés pliés dans les malles. Elle a reçu sa carte Vitale et La Quinzaine littéraire. Un mot de Muriel qui la remercie du papier mis récemment en ligne sur sa revue. Le rendez-vous avec le vétérinaire, mercredi. Vaccins et antibiotiques pour Lupinu qui a attrapé un rhume au cours de ses vagabondages nocturnes. Du bricolage dans le jardin. Cet après-midi, elle ira chercher du bois. Il fait un temps superbe. Un grand vent tiède a chassé les nuages. La route vers la Tour d’Amour est à coup sûr ensoleillée…
Elle part, sac à dos, chercher du petit bois. Elle marche vite dans le grand vent. Elle respire la douceur du jour. Les frondaisons argentées, flux et reflux des feuilles. Penser à ramasser des ferlucci pour alimenter le feu. Le mugissement sombre des vagues. Un épervier plane au-dessus de la route. Un avion file dans le ciel. Hanging Rock (Australie) découpe sa courbe sur le bleu cru du ciel. Les rochers mis à nu par les feux de leurs propriétaires (mêmes).
L’accouchement va être provoqué le treize décembre. Derniers jours pour sa fille du statut de jeune femme sans enfant ; pour elle, derniers jours avant d’affronter le statut, tout nouveau, de grand-mère. Quel effet cela fait-il ? Elle ne sait pas. Pas encore.
Elle a dépassé le sac à gri-gri sans s’en rendre compte. Un bruit de sonnailles troue le maquis, en contrebas. Divagations de vaches ? Divagations de chèvres ? La ligne de crête de la montagne est totalement dégagée. Le grincement des chenilles sur la route. Elle bifurque sur le sentier de Ghjottani. Sur sa gauche, un petit écriteau dissuasif : « Pièges à loups ». Elle l’avait oublié. Elle pense : « Piège à cons » ! Le sentier est impraticable ; elle revient sur ses pas. L’écrin noir et blanc de la marine. Ses eaux travaillées par le vent et par les vagues. Le mamelon du Cucaru, auréolé de lumière. Elle est à Linaghje. Elle pénètre dans l’enceinte inextricable de la Tour d’Amour. Elle se sent en infraction. Elle ramasse son butin de bûches et de rondins. Charge le sac sur ses épaules, s’extirpe de l’enclos où elle est enfermée, reprend sa route en sens inverse.
Au retour, les sonnailles en contrebas de la route se sont rapprochées. Une chèvre majestueuse surgit. Puis une autre, puis un troupeau entier, en partie camouflé par les arbres. Les chèvres se bousculent à son approche, s’immobilisent dans le même cercle de soleil, la dévisagent, l’observent. Un appel roule sur la route : « ouai, ouai, ouai ». Le jeune pâtre, un dieu grec, arpente les talus à la recherche de ses bêtes. Elle le reconnaît et lui indique le maquis, quelques mètres plus bas. Il lui sourit. Elle s’installe sur un rocher, attend le retour des bêtes. Le chien jappe. Allègrement. Il vient s’installer sur ses genoux. Elle est adoptée. Il la suit jusqu’à la Pierre Plate, la pierre à palabres. Les bêtes rentrent dans l’enclos, sans elle. Elle reprend sa route vers le village. Elle est saoule de grand air. Sereine, ce soir, presque heureuse.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
|
Retour au répertoire d’ août 2009
Retour à l'index de la catégorie Zibal-donna
Le temps passe. Les pages se succèdent. Je dois partir quelques semaines, alors un commentaire un peu plus long pour vous, Angèle, d'"Elle".
A pas lents, "elle" marche sur les chemins qui entourent le hameau paisible où elle demeure. Le nez au vent dans les odeurs âcres de l'enclos aux chèvres ou dans le crépitement de la flambée du soir quand le petit bois sera rentré. Elle marche et elle se souvient. Son coeur est plein de ce monde pérenne malgré l'absente. Parfois le chagrin lui monte au ventre et l'enveloppe d'une douceur aigre-douce entre résignation et résistance. Tous ces instants sont à elle. On sent qu'elle ne veut pas y renoncer. Ces souvenirs font partie de son quotidien. Elle vit avec eux... mais aussi, aime sa terre, la contemple, l'écoute, la hume... sa terre qui est sa sauvegarde. Ainsi s'inscrit une vie de silence, dense de pensées secrètes, au milieu des autres qui ne savent pas... les voisins du hameau avec qui elle entretient des relations simples et joyeuses, la famille proche, les amis.
Ecrire lui est devenu une évidence, une nécessité qui répare l'injuste dévastation du chagrin et de l'abandon. Ecrire pudiquement ce combat singulier, sans révolte, sans courage stoïque, sans arrogance. Ecrire en acceptant que les bonheurs se mêlent à la souffrance.
Et nous offrir ces pages fidèles aux carnets de marche qu'elle noircissait, au jour le jour, cette année-là, sur les chemins... vagues simultanées de joie et de souffrance de l'enfantement.
La douleur devenait vivable, les souvenirs s'apaisaient mais elle restait seule face à l'épreuve... et marchait, tendre et indépendante, l'appareil photo en bandoulière et le carnet dans la poche.
Elle gardera, certainement, le cap et traversera l'hiver avec ses livres, ses carnets, son compagnon et son chat au coin du feu, en attendant patiemment le retour du printemps.
Rédigé par : Christiane | 16 août 2009 à 22:03
Toujours, toujours quelque part en infraction . Ce sentiment de piège avec, dans la bouche, un goût terreux de liberté.
Amitiés, Angèle.
A te suivre sur le chemin.
Rédigé par : johal | 17 août 2009 à 11:39