INOUBLIABLES ET SANS NOM
Elle rit, elle rit comme une tordue, elle se tord de rire : impossible de faire entrer le gros fauteuil qu’elle vient d'acheter dans le coffre de sa voiture. Non qu'il soit trop lourd ― peut-être l’aiderais-je ―, mais il est trop haut, trop large, dans n'importe quel sens il ne passe pas, il ne peut pas passer. Elle rit de plus en plus. Pourtant, personne n'est avec elle, personne dans sa voiture ― je vérifie. Je me demande ce qu'elle va faire, la dame qui a acheté un fauteuil trop gros pour sa voiture, mais elle m'a réjoui de son rire, moi qui, à coup sûr, me serais fâché et maudit, en pareille circonstance.
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La solide maîtresse d'équitation aux enfants qui viennent de marcher dans le crottin: « Mais, j'aimais voir ça quand j'étais jeune, j'aimais bien voir ça, les vaches faire leurs bouses, j'aimais regarder, ça s'ouvrait, et après ça se refermait, le trou, du cul ».
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Deux adolescentes rivalisant de coquetterie se séparent sur le trottoir grouillant de monde devant Monoprix. Gestes d'au revoir, puis, quand dix mètres au moins les séparent, à tue-tête et en écho: « Bonne bourre ! » J'en pense quoi, moi ?
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Elle roule tout son corps, comme si elle se caressait en marchant, voluptueuse, se berçant de tendresse, et ses yeux chaloupent aussi entre les regards des hommes. Lequel posera les mains sur cette houle douce et candide, pour l'attiser, la soumettre, l’entendre crier que oui, elle est adepte de la religion de vivre ?
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L'une entre, sûre de sa beauté maquillée, veste à boutons dorés négligemment jetée sur les épaules, démarche que rehaussent les talons, et quel parfum, c'est trop. L'autre est déjà assise devant son sandwich, elle sourit à ceux qui croisent son regard lointain, prudente gentiment. Elle porte des chaussures de garçon, un strict pantalon noir. Pour savoir son parfum, il faudrait s'approcher. Et c’est elle, tout à coup, dont le visage tombe dans les mains. Parce que la voilà qui pleure, celle qui souriait. Moi, je termine mon café, je vais bientôt sortir comme je suis entré, ne connaissant pas un humain de plus.
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« Sodomite » dit l'un des deux garçons. « Sodomite ? » s'étonne l'une des trois filles. La tablée éclate de rire. C'est le seul mot que j'aie entendu, avant et après. Par hasard ?
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Madame seins s’échappant veut savoir quel effet elle produit sur les hommes. Madame mains très ridées. Madame cheveux décolorés. Madame trop parfumée. Madame bouche en cul-de-poule. Madame soixante ans bien chargés. Madame œil clignotant. Quel effet produit-elle sur les hommes, ce soir chez Leclerc devant la balance de fruits et légumes? Aucun, vraiment aucun? Aucun, vraiment aucun, fors l'agacement, Madame.
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Naturellement Mercedes. Naturellement décapotable. Naturellement dimanche midi. Naturellement temps ensoleillé. Naturellement route de l'océan. Naturellement lunettes noires. Naturellement beaucoup plus jeune que lui. Naturellement blonde. Naturellement ?
Bernard Bretonnière, Inoubliables et sans nom, éditions L'Amourier, 2009, pp. 35, 41, 44, 47, 48, 50, 51.
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