Le
9 août 1908 naît à Pico Farnese (province de Caserta ; aujourd'hui, province de Frosinone), dans le Latium,
Tommaso Landolfi. C’est là, dans la demeure familiale où il grandit, qu’il se passionne pour la littérature romantique, italienne et allemande, mais aussi pour la littérature russe. Traducteur de Gogol, de Pouchkine et de Mérimée, Landolfi se définit comme un « rat de bibliothèque et un pilier de tripots ».
En juin-juillet 2008, pour saluer le centenaire de la naissance de Tommaso Landolfi, la revue
Europe a consacré à cet écrivain italien assez mal connu en France un dossier auquel ont participé de grandes voix d’aujourd’hui : Idolina Landolfi, Carlo Bo, Mario Luzi, Giorgio Manganelli, Italo Calvino, Monique Baccelli.
© D.R.
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GIORGIO MANGANELLI : « UNE DISTRACTION PRÉCISE »
Je n’ai pas connu Tommaso Landolfi ; rares sont ceux qui l’ont connu ; je garde l’obscur souvenir d’une photo de lui ― ou bien me trompé-je ? Ses livres avaient des rabats blancs, sans informations sur l’auteur et sans boniments à l’adresse du lecteur ; cet espace était donc blanc, avec cette mention imprimée : « Par volonté de l’auteur ». Quand il remporta l’un des prix les plus mondains d’Italie, le Strega, il posa une condition : en aucun cas il ne viendrait le recevoir en personne ; c’est l’éditeur qui fit le voyage. C’était un homme solitaire, bizarre, réservé non par timidité, mais par une sorte de dédain, de fureur, de dérision. Il était né à Pico, un bourg âpre, presque un repaire de bandits, entre Rome et Naples, mais il s’était ensuite installé à San Remo, où il pouvait s’abandonner à son vice violent, le jeu, qu’il vécut avec une ire et une dévotion dostoïevskiennes. Dans la littérature italienne de ce siècle, sa place est assurément parmi les plus grands, avec Alberto Savinio, que l’on a finalement découvert, avec Antonio Delfini, qui reste à découvrir. Il ne fut jamais un écrivain populaire, mais parmi ceux qui aiment la littérature son prestige a toujours été considérable. Il reçut même des éloges de la part de gens qui lui étaient étrangers sur le plan critique et intellectuel. Il connut la gloire d’être un écrivain inutile. Ses livres fascinent parce qu’ils contiennent d’attentives contradictions, et que leur prose maigre, sans sourire, mais en aucun cas « parlée », véhicule des images d’horreur, d’effarement, de décadence, d’avanies. Le noyau du discours de Landolfi – comme on peut le voir dans sa splendide Mer des Blattes – est le dégoût, l’excrément, quelque chose qui participe, absurdement, des qualités du métallique et du cadavéreux, du siliceux et du décomposé. Parfois sa prose s’aigrit de mots rares, insolemment précis, ou d’une ancienneté qui n’a rien de docte mais rappelle plutôt le jargon des marins ; leur odeur est celle du goudron, pas celle du dictionnaire ; cette prose me ravit quand elle feint d’être hasardeuse, distraite, car l’un des traits les plus exquis de Landolfi tient précisément à son art de manier comme avec une négligence et indifférence le signe et la matière de sa composition. Il change de plan ou de niveau narratif sans recourir à aucun artifice dramatique, comme si ses nouvelles progressaient par distraction. Je m’avise que je touche là à l’un des secrets de son art de conter, de cultiver une « distraction de haute précision », de ne jamais regarder l’objet du récit, mais de le manipuler – j’inclus dans ce mot ses connotations un peu sales, sueur et corps - tangentiellement, comme s’il devait en vérité parler d’autre chose, de quelque chose d’imparlable.
Giorgio Manganelli, Préface de La Mer des Blattes de Tommaso Landolfi, in Revue littéraire mensuelle Europe, juin-juillet 2008, pp. 277-278. Traduit de l’italien par Jean-Baptiste Para.
NOTE : ce texte de Giorgio Manganelli fut écrit pour servir de préface à la traduction allemande de La Mer des Blattes parue dans la revue Freibeuter, n° 7, 1981.
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