Éditions du Seuil, juin 1964,
Collection folio, 2005.
Préface de Bernard Comment.
Photo de couverture d’Ashby
© Pigeon Productions SA/Getty Images (détail)
ELLE, C’EST DRUSILLA
« Elle prit ce château, cette forêt, elle me prit. »
Ainsi commence Ashby. Par cette géniale antanaclase qui donne d'emblée la tonalité majeure du roman de Pierre Guyotat. Et le pouvoir absolu à la maîtresse du jeu.
Elle, c’est Drusilla. Mante, amante et maîtresse, marquée dès l'enfance par le feu. Feu des flammes du château où ont péri ses parents, feu de la passion amoureuse qui brûle en elle et la conduit, dès ses jeunes années, aux rives du mal. Peut-être Drusilla porte-t-elle, à son insu, les stigmates de son homonyme antique, l'incestueuse Drusilla, sœur de Caligula ? Peut-être le désir de destruction qui lui dicte ses actes, lui vient-il de la tragédie dont elle porte la trace, légère mais indélébile ? Lady Drusilla, « cygne sauvage », « insecte puissant et vorace » règne sur le château d'Ashby et sur les âmes qui l'habitent. La première proie à tomber entre les beaux bras blancs de Drusilla, c'est son cousin. Angus. Fils de Lord Ashby et héritier du château, Angus, pris dans les rets de Drusilla, sent pousser en lui « comme une fleur vénéneuse, une plante amère » à laquelle il ne sait ni ne peut résister. Séduit par les pouvoirs de la belle démone, Angus cède aux rituels maléfiques dans lesquels celle-ci l'entraîne. Sous l'emprise l'un de l'autre, les deux enfants se livrent sans retenue à leurs fantaisies érotiques. Viennent tournoyer autour du jeune couple quelques figures satellitaires dont la cruauté de Drusilla vient à bout. Car toute intrusion étrangère dans le château rompt le pacte des deux amants, les éloigne l'un de l'autre, entraînant Drusilla dans le courant d'autres sombres désirs. Avec leur mariage, la relation amoureuse des amants d'Ashby évolue. Drusilla, qui ne se résigne pas à vieillir ne se résigne pas non plus à renoncer aux plaisirs de la séduction. Quant à Angus, il assiste, complice délesté de toute forme de jalousie, aux libertinages amoureux de celle qu'il continue d'aimer passionnément. Loin de délivrer Angus, la mort de Drusilla le plonge dans la voie que Drusilla lui a ouverte. Le château d'Ashby devient le théâtre de mille turpitudes et cruautés auxquelles succombent domestiques et amis. Jusqu'à la mort de lord Angus.
Roman de formation amoureuse, Ashby est un roman de jeunesse, le second de Pierre Guyotat. Écrit en 1963, au retour de la guerre d'Algérie, et publié en 1964, ce roman de forme brève est un alliage subtil de classicisme et de modernité. Classicisme dans le traitement du décor et le stéréotype de certains personnages ― Lord Ashby et son épouse, mademoiselle Fuhlalba, la gouvernante. Le décor principal est celui du château d'Ashby, livré aux fantasmes des deux enfants et à leur folie. Les courses effrénées dans les landes sauvages du Northumberland évoquent celles d'Heathcliff et de Catherine Earnshaw. Mais les scènes finales font soudain basculer le récit, jusqu'alors empreint d'une grande fraîcheur, dans un univers lourd de cruauté et de désastres, proche de celui de Sade.
La modernité du roman tient à son écriture. Pierre Guyotat pratique la variation des points de vue et les « décrochements de temps ». Le style, incisif et fort, la prose souvent très poétique, éloignent Ashby des romans noirs anglais dont il est peut-être un ultime surgeon.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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Etrange écrivain qui ne laisse pas indifférent entre censures et soutien, presque inconditionnel, inclassable, marginal mais aussi captivant, bouleversant comme l'induit Catherine Brun, mêlant dans ses livres sueur, sang, excréments, vomissures, sperme, viol, sadisme et douceur. Vous voilà donc, Angèle, au seuil de son oeuvre dans ce roman singulier qu'il écrivit en 1964. Premiers corps écorchés, premiers jeux provoquant le désir érotique du lecteur et le face-à-face avec le mal, le scandale de la cruauté, de la perversité.
Vous semblez sensible à une musique intérieure fragile et pure qui cohabite avec le désir animal le plus dangereux, le plus ignoble. Michel Foucault déclare dans une interview au Japon que "personne n'a jamais parlé comme il parle". Peut-être votre oreille de poète aura entendu cette innocence muette qui se cache derrière cette expulsion de la violence. Ashby semble ce précieux écrin.
"Où est l'humain dans l'homme ?". Il creuse encore et encore dans l'innommable des fantasmes, dans la vérité nue de la peau.
J'aime que vous risquiez cette lecture et que vous en donniez à lire ce questionnement de velours...
Rédigé par : Christiane | 26 juillet 2009 à 17:53