Marseille : une rue du Vieux Quartier
(Vieux Port)
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HACHICH A MARSEILLE
Marseille, le 29 juillet. ― À 7 heures du soir, après avoir hésité longuement, pris du hachich. J’étais allé à Aix le jour même. Je suis couché sure mon lit avec l’absolue certitude que je ne serai dérangé par personne dans cette ville qui compte des milliers d’habitants où nul ne me connaît. Voici qu’un petit enfant pleure et précisément me dérange par ses cris. Je pense que trois quarts d’heures sont déjà écoulés mais il n’y a cependant que vingt minutes. Ainsi je suis allongé ; je lis et je fume. En face de moi toujours cette vue dans le ventre de Marseille. La rue que j’avais contemplée si souvent est comme une section faite au couteau.
À la fin je quittai l’hôtel, l’effet ne semblait pas se produire ou semblait devoir être si faible que la prudence de rester chez soi pouvait être négligée. ― Première station, le café coin Canebière et cours Belsunce. Vue du port, le café de droite, donc pas mon habituel. Alors seulement se fait sentir une certaine bienveillance, l’attente de voir des gens s’avancer vers soi avec affabilité. Le sentiment de solitude se perd bien vite. Ma canne commence à me causer une joie intime. On devient tellement délicat : crainte qu’une ombre tombée sur le papier ne puisse le blesser. Le dégoût disparaît ; on lit les affiches sur les urinoirs. Je ne m’étonnerai pas si un tel ou un tel venait vers moi. Mais puisqu’on n’y pense pas, cela ne me fait rien non plus. Pourtant il y a trop de bruit ici pour moi.
Et voilà que commencent à s’annoncer les prétentions que couve le mangeur de hachich quant au temps et à l’espace. Que ces prétentions soient absolument royales, c’est connu. Pour celui qui a mangé du hachich, Versailles n’est pas trop grand ni l’éternité trop longue. Et, dans le cadre immense d’une nouvelle vie intérieure ― de la durée absolue et de l’espace illimité ― il se fait volontiers complice d’un humour plein de volupté et bienheureux.
Walter Benjamin, Hachich à Marseille in Écrits français, Éditions Gallimard, Collection folio essais, 1991, pp. 105-106.
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