Ph., G.AdC
NOTRE FRÉROCITÉ
Nevers, 14 juillet 1997
Talalala… lalalalalalala... talalala... lala...
J'écoute « Il Camino » (le thème d'Aldo Romano).
Aldo ? Aldo ?
Dans la prime enfance, un autre portrait (je me souviens) ce prénom. Aldo de Decize, en Loire assise.
C'était mon frère en sauce tomate. Bouille barbouillée d'italien. On aurait dû nous marier. Mon masque noir, son sabre de bois. Notre camaraderie méritait ce sacrement. Ses voitures, mes cyclistes. Pas un jouet qui ne fût à nous. Dans notre HLM en bordure d'une ville minuscule.
J'ai trois ans. (Comme Aldo.)
Avec le fils de ma nourrice ritale tout en commun. Dans notre petite commune. Le je est une affaire de jeu. Do, mi, sol, mi, fa. Je me fabrique une tribu fictive. Contre le père en cavale. Je me bricole une généalogie saugrenue. Contre la mère sévère. Je deviens écrivain. Ma fumisterie au fur et à mesure. Je prends mon camarade à témoin.
Bouffées fraternelles.
J'invente le frère que je n'ai jamais eu. Mon double fabuleux. Le paradis dure cinq ans. 1962-1967. Le premier départ me coupe en deux. Sanglots secs. Les déménageurs ont perdu Aldo. Entre Decize et Nevers. Comme on perd une horloge.
Depuis qu'on m'a amputé de ce garçon je cherche des frères d'armes. Mes frères d'âme. (Comme dira plus tard Nougaro. Dans une de mes autres vies.)
Je repense à mon premier ami. Trente ans après. Quel vent me l'a donc ôté ?
Nevers, 1967. Le désir cesse de pivoter autour d'un visage. Paradis éparpillé. J'ai mal à l'autre moitié de mon âme. Mal au frère fictif. Je cherche mon autre moi. Mon moi en mieux. Je réclame.
Notre frérocité.
Yves Charnet, Notes fantômes (inédit) in Revue Nu(e) Numéro 40, Numéro Yves Charnet coordonné par Philippe Met, 2009, page 17.
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Beau texte que cet extrait sur le double... Aldo ou Leila... Je crois que le mien était une fille, réelle et inventée. Zohra.
N'aurions-nous pas tous un jumeau invisible et secret ?
J'ai le souvenir moi aussi d'un double chuchoté sous la table des grands.
Merci Angèle.
Quand nous reverrons-nous, marchant au bord de la mer ?
Je t'embrasse ce matin gris, un peu mélancolique, le ciel aujourd'hui.
Sylvie D.
PS: la Petite Librairie cévenole a été un vrai bonheur et tout le reste aussi. Reste à ranger maintenant...
Rédigé par : sylvie durbec | 15 juillet 2009 à 08:41
Quel métissage que cette revue. Ce très beau texte d'Yves Charnet m'a conduite à traverser la nuit avec les livres de Clément Rosset (Le Réel et son double) et dans vos topiques, Angèle, avec Marina Tsvétaïeva, étrangement rebelle aux rêts de l'amour. Maintenant du vieux château de solitude de Boulbon, voilà que nous revient un chant d'encre et de rêve.
Pour vous deux, cette page du livre de Clément Rosset :
"...qu'on ne brûle pas mon double, car je ne suis rien d'autre et n'existe que sur le papier. Brûler le double c'est en même temps brûler l'unique... non qu'il soit de papier, mais parce qu'il est incapable de se rendre visible - en tant qu'unique- ailleurs que sur le papier....
"Nous sommes faits de l'étoffe des songes" (Shakespeare) - de songes dont l'étoffe est elle-même de papier..."
Rédigé par : Christiane | 15 juillet 2009 à 11:04
=> Sylvie, merci de ta visite et de ta confidence sur le double, ton double. Je crois qu'il me faudrait plusieurs vies pour identifier le mien et le saisir au collet. Mais peut-être se cache-t-il à mon insu entre les plis multiformes de mes terres, anamorphiques et mouvantes.
Marcher au bord de la mer ? Dès que la maison aura retrouvé un peu de calme et l'île son vrai visage. Celui qu'elle oublie sous le masque déformant du tourisme intempestif de l'été.
Je t'envoie une brassée d'immortelles.
=> Christiane, je ne connaissais pas ce texte de Clément Rosset qui vient compléter l'extrait de J.B.-Pontalis (mis en lien) que je relis à l'instant.
Le double de papier ? A méditer. Merci à toi.
Rédigé par : Angèle Paoli | 15 juillet 2009 à 13:06
Terres de femmes offre tant de paysages surprenants ! Voilà sous les combles le rire d'une présence indicible offert par Judith Chavanne mais je suis encore à réfléchir à ce texte si grave de JB Pontalis. Et j'en reviens au livre de C. Rosset Le Réel et son double.
Après avoir cheminé avec le thème littéraire du double, du théâtre antique de Plaute aux incontournables du XIXe siècle (Hoffmann, Chamiso, Poe, Maupassant, Dostoïevski...), il arrive à une conclusion pour le moins surprenante : l'indifférence à soi-même, source de béatitude.
"La réconciliation de soi avec soi a pour condition l'exorcisme du double... renoncer à se voir, à l'idée que le soi puisse être perçu dans une réplique qui permette au sujet de se saisir lui-même. Le double, qui autoriserait cette saisie, signifierait aussi le meurtre du sujet et le renoncement à soi, perpétuellement dessaisi de lui-même au profit d'un double fantomatique et cruel ; cruel de n'être pas, comme le dit Montherlant : "car ce sont les fantômes qui sont cruels; avec des réalités, on peut toujours s'arranger". C'est pourquoi la présence véritable de soi à soi, implique nécessairement le renoncement au spectacle de sa propre image."
Ce poème d'Yves Charnet a ouvert un sillon dans la terre à labourer de l'écriture et de la méditation. Merci, chère Angèle, pour ces moments de jubilation.
Rédigé par : Christiane | 15 juillet 2009 à 16:17
A mon avis cet Aldo de Decize est trouvable via Google ou Facebook !
=> http://lecturebourg.canalblog.com/archives/2008/12/29/11769544.html
A moins que … ! Aie !
Amicizia
Guidu___
Rédigé par : Guidu | 16 juillet 2009 à 10:52
Decize n'étant pas un patronyme, mais le nom d'un petit village de la Nièvre... où a vécu Aldo...
Rédigé par : Yves | 16 juillet 2009 à 12:49