Pietro Longhi (1702 - 1783)
Ridotto a Venezia, v. 1750
Huile sur toile, 84 x 115 cm
Collection particulière
(vente Sotheby's New York Jan. 27, 2005)
Source
LETTRE DE PAUL MORAND À SA MÈRE
Je retrouve une lettre écrite de Londres, à ma mère, à la veille de la guerre, le 11 juillet 1914 :
« Nous eûmes hier soir une fête Longhi du plus bel effet, chez une Mrs. C. Sur la terrasse, au sommet du toit, en pleine ville, on avait aménagé une pièce d'eau où évoluaient des gondoles. Ce lac était enguirlandé de merveilleuses lampes japonaises, comme de grosses oranges lumineuses ; un pont en dos d'âne le traversait, orangé lui aussi, et biscornu, vrai Rialto de Yokohama, rapporté par quelque Marco Polo. Salle à manger rococo vénitien, peinte par J.-M. Sert, dans le goût de son décor or et argent du ballet de Joseph que Diaghilev vient de présenter à Covent Garden. Grande table de cent couverts, en fer à cheval ; chaque convive avait devant soi un plat en argent et une bougie : faisans et paons emplumés, comme pièces montées ; nappe en toile d'or ; au centre du fer à cheval un tapis de peaux d'ours blancs, où évoluaient almées et jongleurs. La livrée était en maillots sombres, à large collerette blanche. Tout le monde portait la bauta, par-dessus le long manteau Longhi ; masque et tricornes obligatoires. J'avais revêtu le cafetan d'un Turc du quai des Esclavons. Le baron de Meyer (le meilleur photographe de notre époque) était en habit Louis XV, lamé d'or, perruque d'argent, et une bauta en point de Venise noir. C'était la première fois que je voyais à Londres un spectacle privé de goût audacieux, et pareil faste. Comme société, on était sur les confins du vrai monde. »
J'avais découvert Londres en 1902 ou 1903 ; les dernières troupes, démobilisées après la guerre des Boers, revenaient peu à peu d'Afrique du Sud : by Jingo, quelle fière conquête du monde !
Paul Morand, Venises, Gallimard, Collection L'Imaginaire, 1971, pp. 61-62.
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