JE T’ENVOIE MA CHANSON DES JOURS BLEUS
Je t’envoie ma chanson des jours bleus qui est comme une enfance ; elle se perd et se retrouve, et joue ses notes au jour le jour, sans savoir tout à fait qui l’appelle.
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Le corps enterre son ombre sous les pieds.
Tout s’arrête.
Puis le vent enlève son chapeau.
Une autre histoire rejoint le temps.
Mais que dit-elle, cette femme qui passe, cueillant les papillons de nuit, les libérant dans l’entrebâillé de la fenêtre ?
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Ce monde est une pluie soudaine par où tout réapprend à respirer.
Les papillons de nuit volètent sous les nervures des feuilles, jonques à l’envers. Le temps d’entrer en scène, la femme aura disparu.
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Dans cette compagnie des cailloux, des écorces, des insectes, on n’est plus seul qu’à hauteur d’homme.
Mieux que toutes les chimies, le cri d’amour d’un crapaud détend le fil à craqueler de l’angoisse.
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Ma chanson n’est jamais la même, comprenez-vous cela. Elle jette ses mots et ses airs, au gré des heures, accrochant parfois une mélodie aux branchages. Puis elle change de répertoire dans les étiages de la nuit. Elle franchit des seuils ignorés ; plus tard, elle se dissout dans les labyrinthes du vent. Et à Dieu vat !
Elle laisse aussi des formes de bijoux sur la route, ma chanson. Elle ne sait rien des ramasseurs, ceux qui peut-être un jour récupèreront une de ses devinettes pour nourrir un repas de hasard. Ou qui s’infuseront aux veines pour les tonifier un sang d’encre.
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Que peut-on faire d’une chanson qui écoute ?
Une stèle mendiante. Un signe de l’index traçant sur l’écritoire d’un ciel.
Les jours bleus. Ce sont eux qui vivent à reculons, dit la rumeur des anges. Ils se déplacent souvent en diagonale, jouent aux cases manquantes. On ne peut jamais être certain de les revoir comme on les a trouvés. Mais ils gravitent là, c’est sûr, au creux des turbulences de l’origine.
Et ce destin si proche n’a pas de prix.
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Apprendre à te reconnaître sur le chrome du temps. Délier les figures entravées pour qu’à un moment inspiré surgisse, tout à côté du matin machinal, la science intacte des aimants.
Comme une enfance qu’on a tirée du puits.
*
Trois mots trouvés qui me reviennent. Ils ont le son latin du calme
d’après le tourment.
Au baldaquin des jours sans tain,
parmi les os qui dessinent du vide pour ne plus raconter,
dona nobis pacem.
Ils sont comme un temple khmer immobilisé après l’effroi des lanières, des suppliques et des déflagrations, qui attend de nouveau la première pousse.
Je porte ici
cette prière rampante qui remonte des herbes.
C’est lui, sans doute, qui me l’offre. Il ne questionne pas mon nom.
L’enfant de toujours à son miroir magique ; il écoute la voix qui lui apprend à lire
entre les lignes.
Celle qui murmure tout autour de la terre :
Dona nobis pacem.
Rien moins que ça.
*
Jusqu’au tamis d’un autre jour, nous nous perdons.
C’est la loi du genre.
Notre vie, étale dans ses morceaux, tourne les pages de l’égarée.
Elle joue comme elle peut
l’hymne égoutté de trop d’alluvions noirs.
Elle attend d’un geste provisoire que tant de patiences se survivent.
Puis au détour d’un couloir, sans prévenir, elle se redresse.
Mon amour de derrière les roseaux, te souviens-tu du fleuve ?
Dominique Sorrente, « Je t’envoie ma chanson des jours bleus » [extrait], La Revue des Archers N° 10, février 2006.
Bonheur bleu à l'amble de ce poème magique de Dominique Sorrente pour la petite Alma et ceux qui lui seront racines et feuillages d'étoiles...
Rédigé par : Christiane | 03 mai 2009 à 18:50
Dans l'univers des éclats du bleu, il est un peintre dont, aujourd'hui, un petit monde s'arrache les oeuvres. Fikret Moualla, turc, né en 1903 et mort en 1967, au psychisme chaotique et à la palette enivrante, ne fut guère reconnu de son vivant. Autour des années 35-50, il jeta entre autres sur ses toiles et ses papiers un bleu fou, obsédant...
J'ai vu passer un jour, et m'échapper, s'envolant dans les enchères, une "femme aux bas bleus" lâchée là, dans cette figuration brouillée qui était chère à l'artiste. Puis "L'absinthe", dernièrement, toujours de bleu, a battu un bon record.
Je voulais juste partager avec vous, Angèle, et vous, Guidu, et vous, visiteurs fidèles, les http://www.moualla.com/FR/oeuvres/aff.php?photo=25&cat=grand&lang=FR>bleus cobalt de ce peintre...
Rédigé par : Fabian | 04 mai 2009 à 00:49
"Comme une enfance qu'on a tirée du puits"...
Et j'oserais ajouter : du puits qui ne s'épuise jamais...
Hommage à la petite Alma et une vision symphonique d'un nouveau monde qui lui est intimement liée. Un prénom porteur de bien des itinérances... Dans l'expérience d'une transmission.
Amitiés.
E.S.
Rédigé par : Ecorce | 04 mai 2009 à 09:45