Daté du
23 mai 1445, le premier document à mentionner le nom d’
Andrea Mantegna ― « Andrea pictore » ― est le codicille d’un testament. Ce testament a été dicté à Padoue, dans la maison du notaire Alviso Torresan. La maison qui jouxtait celle de Torresan appartenait à Francesco Squarcione, père adoptif d’Andrea.
Andrea Mantegna,
Madone à l’Enfant avec séraphins et chérubins, v. 1460
Tempera et or sur bois, 44,1 x 28,6 cm
The Friedsam Collection
The Metropolitan Museum of Art, NYC
Source
Le jeune artiste est un adolescent de quinze ans [la date de naissance d’Andrea, que l’on situe habituellement vers 1431, n’est pas clairement établie], venu dans la ville de saint Antoine du village d’Isola di Carturo qui est situé à côté de Piazzola sul Brenta, à la lisière des deux contadi de Padoue et de Vicence. Son vrai père, prénommé Biagio (qui meurt entre 1449 et 1451) exerce le métier de menuisier ; son père adoptif ― Francesco Squarcione ― est tailleur et brodeur, mais aussi maître peintre, au moins depuis 1426. C’est le fils d'un notaire, originaire de Bovolenta, qui a fait fortune. Andrea et lui vivent ensemble depuis 1442, dans la proximité des tailleurs et fourreurs, peintres et céramistes, avec lesquels Squarcione est en relations quotidiennes. Le frère aîné d’Andrea, Tommaso, est également installé en ville au moins depuis 1446, dès qu’il a eu les moyens d’acheter une vache ; il exerce le métier de tailleur ; et sa femme Vendramina, dès 1438 et même avant, était au service de la maison Ovetari. [...]
Il faut imaginer Padoue dans ces années avec une attention particulière pour cette sorte de bohème qui unit artistes et écrivains, tous jeunes et du même âge. Une grande énergie circule qui anime artistes et commanditaires, déclenchant un esprit de jeu d’équipe et un échange générationnel. A l’ombre de l’université prestigieuse, c'est-à-dire des salles de cours et des études mais aussi des tavernes fréquentées par les étudiants, les fils des commanditaires de Squarcione ou d’Antonio Vivarini se passionnent pour Mantegna ou Schiavone. Dans ce contexte, les exigences de ceux qui recherchent les témoignages littéraires du passé, qui interrogent l’histoire antique de la cité fondée par le mythique Anténor, vont à la rencontre des aspirations artistiques d’un peintre qui veut recréer le monde antique sans être jamais allé à Rome, se contentant d’une quête épigraphique en flânant dans ce(tte) Veneto felice (« Vénétie heureuse »), en se laissant aller à sa propre fantaisie [...].
Un autre phénomène nouveau caractérise Padoue, ville cruciale en ces années : le succès d’un artiste passe aussi par les éloges des hommes de lettres qui reçoivent souvent leur portrait en échange... Ce qui frappe à Padoue, c’est la proximité d'âge entre le peintre et l’écrivain, et le côté instantané de la célébration. Mantegna est encensé par ses contemporains avant même ses grands exploits padouans, les fresques de la chapelle Ovetarri dans l’église des Eremitani.
Dans ce milieu d’une extraordinaire liberté de mœurs, les nuits de « trecento ore » (« trois cents heures ») semblent ne jamais finir ; entre le jeu de dés et le vin, on spécule sur le futur de l’existence et les destins de la peinture, comme on sait le faire seulement à vingt ans ; on se bat (certains artistes y laissent la vie) et les passions se consument avec la rapidité d’une chanson. »
Ainsi peut-on lire dans l’un de ces poèmes, cette mention qui lie clairement Donatello et Mantegna :
« Questi son quei begli ochi e quelle chiome
Che m’hano il cor mille laci avinto,
Questo è quel vago e pelegrin Hiacynto
Che lasciò Apollo con eterno nome.
O Andrea Mantegna, o Donatello, come
Ne potrebbe esser un più bel dipinto ? »
« Voici les beaux yeux et les cheveux,
Qui, avec mille lacets ont serré mon coeur,
Et voici le beau et pèlerin Hyacinthe que,
sous un nom éternel, Apollon nous laissa.
Oh Andrea Mantegna, oh Donatello, comment
Pourrait-il exister de plus beau jeune homme ? »
« Parmi ces hommes de lettres, il en est un qui réussit à trouver le vers juste pour caractériser les orientations stylistiques de Mantegna : Ulisse Aleotti, qui en décrivant un portrait du jeune artiste en 1447 ou en 1448, dit qu’il le “scolpì in pictura, propria, viva e vera” (“sculpta véritablement en peinture, vivante et vraie”). Cette définition met en lumière le caractère fortement sculptural de la peinture de Mantegna... »
Giovanni Agosti, Récit de Mantegna, Musée du Louvre Éditions/Hazan, 2008, pp. 7-8-12-13-14-15. Traduit de l'italien par Esther Moench.
après soirée d'orage, c'est ce signe qu'il me fallait pour la route
Rédigé par : Hab | 26 mai 2009 à 07:29