pour Jacques Garelli
La parole répond à l’absurde buée d’une douleur viscérale. Entre souffle et peau. Angoisse d’un spasme sans mémoire. Les hantises défilent. Carnet raturé. Fiction sabrée. Page gardée. ― Les trous dont se pare ma peau ouvriront ma parole aux morsures du vide.
Les choses (me) pénètrent. Je suis la chaise. La vitre (me) coupe le souffle. Ô fines roues dentelées, vous moudrez le grain des angoisses ! Le poisson rouge est de la fête. Bruit d’eau dans le bocal du crâne. Odeur de Loire. Gratter jusqu’au vif. Ô fibules du froid agrafées dans la gorge ! Racler. Creuser la toux. Ce qui grognait avant les syllabes. L’autre maçonnerie de la langue. 18h40. Tic-tac immémorial, la glotte. 18h50.
Jet sauvage ― la lumière ! Soleil, rage du cœur. Ô parole débordée ! Tu ne distingues plus l’ombre qui transporte ton corps. Souffle coupé. Pupilles criblées. Parole dérobée. Jusqu’au malaise de la couleur. Cailloux contre nuages. Du verre brisé exorcise tes vives anxiétés.
Le silex tutoyé des étoiles, la barque pulvérisée des rumeurs, l’énigme bariolée des rêves dans l’insomnie féroce de la nuit. Tensions extrêmes d’un cri qui rudoie la conscience. Maux de ventre dans la genèse glacée du matin encore gardé de brouillards. Ces loques de patience, que couve la cendre, sont la tunique de mes déraisons. J’y nidifie jusqu’à midi. Pétrifié par le trafic nocturne de l’infini. L’ongle rongé du mur me défie avec la douceur féline d’une jeune fille. Le silence respire bruyamment. Ô souffle bref ! Feu court, mon supplice et ma furie ! Un rythme de hantise commémore l’angoisse immaculée des confins. J’y surgis sur du givre.
L’aube prend. Dans un nid de bulles. La terre s’éclaircit. Jusqu’au bleu. Le bulbe des choses tremble. Les yeux du givre me foudroient. L’énigme de naître commence dans ce chant du monde. La clôture comme un pèlerinage du silence. L’oiseau-vitre traverse le paysage. D’un son de neige. La touffe du froid frémit. L’horizon communie avec ma solitude. Le monde s’épelle dans mon écoute. Je suis disponible au bleu. L’écuelle de chaque chose recueille ma soif. Racines, la lumière ! Les mots comme des mottes de terre. Souffle, les branches ! Les rythmes comme des éclats d’énergie. ―La fugue du matin incarne une prière nue. Yves Charnet, in Nu(e), Numéro 40, Numéro Yves Charnet coordonné par Philippe Met, 2009, pp. 188-189.
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* de découverte en découverte ; intéressantes "jalousies". Il me semble que je reste derrière, toujours à la traîne, dépassée, accusée, ignorée, totalement incomprise. Alors... eh bien, le monde tourne quand même ! Tu vois. ô grand bonheur. N'est-ce pas.*
Rédigé par : Alistrid | 05 avril 2009 à 20:15
Ce soir, un peu tard, entre souffle et peau comme l'écrit s'en fait si bien écho, je découvre la voix de Danielle Messia. Merci, Angèle, pour ce cadeau.
Rédigé par : Fabian | 05 avril 2009 à 23:45
Alistrid! A quoi correspondent ces petites étoiles ? A la traîne, dépassée, ignorée ! Quelle idée ! Mais pourquoi donc ?
Rédigé par : Angèle Paoli | 05 avril 2009 à 23:49
Cela n'est que succession de mots, de phrases, sous un ciel étoilé, Angèle. Rien d'autre. Tout va bien. Il m'arrive de dériver un peu, parfois, ou de délirer (comme on veut). Je m'amuse souvent à prendre beaucoup de distance avec moi-même; du coup, un autre interlocuteur se glisse à ma place et ça donne ce genre de truc... un peu fou, n'est-ce pas ? (et si dingue à expliquer).
Heureusement, je ne suis pas toujours très sérieuse. la légèreté de "l'Humour" me correspond tout à fait.
Pardonnez-moi cette intrusion donc; il serait plus intéressant de demander à Yves Charnet l'explication du paragraphe 2 ou 3 ("Quelle idée" !!) ;o)
Amicalement, A.
Rédigé par : Alistrid | 06 avril 2009 à 09:04
Ca cogne, déchire, explosion de détresse au fond des tripes, quelle parole puissante !
Frederique
Rédigé par : Frederique | 06 avril 2009 à 11:19
=>Alistrid, me voilà rassurée, merci.
Peut-être une amorce de réponse à votre interrogation étonnée, dans le I:
"Les trous dont se pare ma peau ouvriront ma parole aux morsures du vide".
Quant à moi, je me laisse dériver dans la phrase finale, sublime:
"La fugue du matin incarne une prière nue".
=>Fabian, merci à vous de ce témoignage.
Rédigé par : Angèle Paoli | 06 avril 2009 à 12:06
Pour Frédérique:
III
une enluminure du souffle
[...]
pétales - un manque
à dire et
vertige contre sens
la pression du sang
comme cadence
Yves Charnet, extrait du poème intitulé "Une saison à Sannte-Anne", in Revue Nu(e), page 184
Rédigé par : Angèle Paoli | 08 avril 2009 à 11:38
Le vendredi 12 juin 2009, de 20h00 à 23h00, lecture-rencontre animée par Jean Delabroy à la librairie parisienne La Terrasse de Gutenberg (9, rue Emilio Castelar, 75012 Paris) pour fêter la parution du n° 40 de la revue Nu(e) consacré au travail d'écrivain d'Yves Charnet. Seront lus pour la première fois des extraits des Lettres à Juan Bautista (La Table Ronde, 2008).
Rédigé par : Agenda culturel de TdF | 22 mai 2009 à 09:14