Pablo Picasso,
Femme nue dans un fauteuil rouge, 1932
Huile sur toile, 129,9 x 97,2 cm
Tate Modern, Londres
C’EST DU FOUJITA
« C’est du Foujita » disait, d’un ton méprisant, un peintre, naguère ami des cubistes, aujourd’hui de l’Institut, à M. Paul Rosenberg, écrasé, en lui montrant cette odalisque lunaire*, de Picasso, dont les membres se conjuguent aux détails du fauteuil qui la contient, ― et l’on ne sait si l’on voit les perles de son collier ou les clous du dossier, les fleurs de sa robe ou les ornements du siège.
« C’est du Meissonnier » disaient, d’un commun accord, plusieurs peintres modernes au vernissage du Temps présent, devant la « Structure molle » de Salvador Dali, où l’on voit, entre autres choses, se dresser, sur un fond de paysage espagnol, une singulière pièce montée, comme il s’en trouve dans les toiles de Jérôme Bosch, faite de jambes et de bras superposés, que terminent de mains crispées, dont l’une étreint en plein ciel un sein gonflé, au bout envenimé. Une tête douloureuse et grimaçante, rejetée en arrière, surmonte le tout.
Je ne voudrais pas être l’auteur de ces deux constructions inquiétantes ― mon dessein étant ailleurs ― mais devant les révoltes et les incompréhensions qu’elles suscitent chez trop d’artistes, je me prends la tête à deux mains, pour essayer d’en découvrir les raisons. Est-ce vraiment si difficile de reconnaître le talent où il se trouve ? Pourquoi les peintres s’obstinent-ils ainsi à demeurer aveugles aux mérites du voisin ? On ne les voit vraiment intéressés que par la médiocrité, surtout lorsqu’elle est l’œuvre d’un disciple. C’est en vain que je repasse en mémoire la liste des incompréhensions historiques, depuis Rome et Venise : Ingres et Delacroix ; Manet et Van Gogh ; Cézanne et Gauguin. Des exemples de générosité et de lucidité viennent s’y opposer : Rubens et Brauwer, Delacroix, Corot et Daumier, si différents les uns des autres, le grand et le modeste s’admirant réciproquement. Mais qui, aujourd’hui, estime véritablement un confrère ?
André Lhote, « Expositions Picasso », La Nouvelle Revue française, 1er avril 1936, pp. 610-613 in L’Esprit NRF, 1908-1940, Éditions Gallimard, 1990, pp. 1065-1066.
* Note d'AP : pour cette toile, La Femme nue dans un fauteuil rouge, réalisée en 1932, Pablo Picasso a pris pour modèle sa jeune maîtresse, Marie-Thérèse Walter. Cette toile de la période ingresque, aujourd’hui conservée à la Tate Modern à Londres, faisait partie des toiles présentes sur les cimaises de l'exposition Picasso-Ingres, qui s'est tenue au Musée Picasso, à Paris, du 17 mars 2004 au 21 juin 2004, et de l’exposition « Picasso: Challenging the Past » qui s'est tenue à la National Gallery (Londres) du 25 février 2009 au 7 juin 2009.
Source
Un ami, un peu fou, a developpé une thèse autour de la toile de Cézanne "Madame Cézanne dans un fauteuil rouge" et de ses interprétations multiples faites par Picasso. J'aime bien les fous.
Rédigé par : johal | 02 avril 2009 à 08:02
Un peintre parlant d'un peintre... oui, c'est souvent décevant ! Un écrivain parlant d'une toile c'est souvent réjouissant...
Et puis un regard oublieux des dires devant une toile, c'est un moment de vérité, de soi à l'autre.
Je regarde cette toile, je reconnais bien sûr une oeuvre de Picasso et je souris.
Tout est calme et beauté dans ce nu au fauteuil rouge. Courbes et teintes pastel, expression du visage, mi-lune, mi-soleil. Pudeur extrême, corps sain, simple, tout surgi de l'enfance de l'amour. Une aurore, un re-commencement, une découverte délicate, une harmonie...
Un Vivaldi de printemps, une cantate de Bach, une page de Mozart...
Le bruit de la mer sous un soleil radieux récitant le bleu du ciel, un chant d'oiseau, une onde sur les blés mûrs,...
Volupté douce et attentive, grâce et pureté...
Comme il devait être heureux et léger quand il a peint cette jeune amante...
Rédigé par : Christiane | 02 avril 2009 à 09:14
Oui, Christiane, Picasso a probablement été très heureux avec Marie-Thérèse Walter. Mais je ne peux m'empêcher de penser que Dora Maar va bientôt arriver, pleine de nouvelles promesses pour le regard et le talent du peintre. D'un modèle l'autre...
=> Quant à la folie, oui, je l'aime aussi, Johal, avec mesure. Est-ce compatible?
J'aime ces déclinaisons d'influences d'un peintre à l'autre. Comment, avec le même, faire quelque chose de nouveau, qui oblige le regard à se défaire de ses habitudes, à se déplacer, parfois d'un écart minime! Ca me fascine, comme me fascine la déclinaison des vagues, mouvements et formes identiques, en apparence. Et pourtant!
Rédigé par : Angèle Paoli | 03 avril 2009 à 00:30